Le grand retour de l’Algérie en Libye

Après cinq années d’absence diplomatique et politique, l’Algérie signe son retour sur l’échiquier politique libyen. Écartée par les grandes puissances depuis 2011, Alger s’est imposé depuis fin 2016 comme un acteur incontournable de la crise libyenne. Toutes les factions du pays négocient en ce moment avec Alger dont les réseaux d’influence en Libye sont nombreux, pour aboutir à un consensus national.

Alger en force

C’est bel et bien le grand retour de l’Algérie en Libye. Et les travaux sur « l’impact de la situation sécuritaire en Libye sur la sécurité frontalière des pays du voisinage » qui se sont ouverts la semaine passée au siège du Centre africain d’étude et de recherche sur le terrorisme (CAERT) à Alger en vue d’améliorer les capacités des pays africains à contrôler leurs frontières, sont le signe de nouvelles « conquêtes » diplomatiques. La stratégie algérienne consistant à noyauter les instances de l’Union Africaine et exercer un lobbying puissant pour imposer une nouvelle vision du conflit libyen s’est montrée efficace. Des représentants venus de Tunisie, d’Egypte, du Tchad, du Soudan et du Niger de même qu’un haut responsable d’un service de sécurité des frontières de chacun des Etats membres de l’UA ont été réunis à Alger.  Des représentants de Mauritanie, du Mali et du Burkina Faso y participent en qualité d’observateurs, aux côtés d’experts du CAERT, de  l’African Union Border Program (AUBP), de l’Organisation internationale de Migration (OIM), et de l’Organisation de la Police internationale (Interpol). La montée en force de l’Algérie se joue également dans les organisations internationales où sa voix est de plus en plus audible.

Dialogue avec les factions libyennes

Une voix que porte haut et fort les deux chefs d’orchestre de la diplomatie algérienne : le ministre des Affaires maghrébines, de l’Union africaine et de la Ligue des Etats arabes, Abdelkader Messahel, et Ramtane Lamamra, le ministre des Affaires étrangères. Le premier s’est efforcé de fédérer tous les Etats africains autour du projet algérien, à savoir celui d’une négociation directe avec toutes les fractions sans recourir à une intervention étrangère comme ce fut le cas en Syrie. Un discours de plus en plus séduisant auprès des libyens qui craignent pour l’avenir de leur pays. Aux diverses factions libyennes, Messahel n’a cessé d’expliquer qu’il n’est pas trop tard pour que leur pays ne devienne pas un « ring de combat où les grandes puissances règlent leurs comptes ». L’Algérie propose aux diverses forces libyennes « d’aller vers des institutions fortes avec une armée et un gouvernement d’union nationale pour notamment combattre le terrorisme et le crime organisé ». Auprès des chancelleries occidentales, Messahel martèle que l’Algérie « jouit de la confiance des différentes parties libyennes en étant à équidistance de toutes ces parties ». Le dialogue permanent impliquant toutes les parties libyennes séduit et convainc de plus en plus les acteurs de la géopolitique mondiale. Preuve en est, la récente victoire de l’Algérie au sommet de l’Union Africaine où le Comité de cinq chefs d’Etat africains pour la gestion de cette crise. s’est ouvert aux pays voisins à la demande de l’Algérie. En parallèle, le ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra a convaincu les égyptiens d’adhérer à la vision algérienne. Le 26 janvier, une rencontre a réuni à Addis-Abeba Ramtane Lamamra avec le ministre des Affaires étrangères d’Egypte, Sameh Shokri. Les Egyptiens, longtemps favorables à des bombardements en Libye et au soutien de l’action armée ont revu leur position. Et pourtant, l’Egypte du maréchal Abdel Fattah al-Sissi subissait des pressions de la part des monarchies du Golfe, notamment de la part de l’Arabie Saoudite, pour soutenir militairement les factions défendant leurs intérêts.

L’alliance Alger-Moscou

Longtemps décriée, la bicéphalité de la diplomatie algérienne a porté ses fruits malgré les mésententes entre Messahel et Lamamra. La Libye est devenu un enjeu si important pour l’Algérie que même le remaniement ministériel a été reporté en attendant les résultats du travail de Lamamra qui mène une autre offensive diplomatique pour appuyer le lobbying de la Russie, amie éternelle de l’Algérie, en Libye. Les médiateurs algériens ont beaucoup aidé les émissaires russes qui ont organisé la réception en grande pompe du maréchal égyptien Haftar, le 11 janvier à bord d’un fleuron de la marine russe, le porte-avion « Amiral Kouznetsov ». Le leader de l’une des factions armées les plus puissantes en Libye s’est même entretenu par vidéoconférence avec le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou. L’anti-islamisme assumé de Haftar rassure Moscou et Alger milite pour convaincre les autres parties libyennes d’accepter le principe d’une base militaire russe en Libye. Cette présence militaire rééquilibrerait les rapports de force dans tout le bassin méditerranéen, n’imposant plus à l’Algérie la seule influence européenne. Lamamra sous-traite avec les émissaires russes pour développer ce nouveau plan dans le seul but d’empêcher l’avènement d’une autre Syrie qui, cette fois-ci, éclaterait à la frontière de l’Algérie. Ce qui constitue une grave menace pour le régime algérien avide de stabilité. Rien que pour ce travail, Ramtane Lamamra est resté encore aux commandes reportant ainsi un imminent changement gouvernemental qui va redistribuer les cartes politiques dans le pays.

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