Militarisation et insécurité au Sahel

Agadez, la cité ceinte des murailles. On dit de cette grande ville du Nord Niger qu’elle est la cité des « invités ». En tamasheq – langue amazighe des Touaregs -, Agad signifie littéralement visiter. Car, il fût un temps où le touareg vivait comme un vrai nomade, et la seule halte qu’il s’autorisait était celle du thé, à Agadez. Aujourd’hui, la ville présente un autre visage. Et il faut prendre de la hauteur pour saisir ses contours les plus nobles. À l’horizon, c’est le vide absolu. Un infini de terre sèche, aride, aux couleurs cacao jusqu’à cette immense parcelle de terre, à l’allure d’une boîte tracée au crayon, qui à chaque jour, affine ses contours et découple ses lignes. C’est la future plus grande base américaine de drones en Afrique; un véritable mastodonted’infrastructures et de pistes militaires dont l’objectif est de garantir une « halte » nécessaire aux drones qui surveilleront la région. Une halte, pour le moins, permanente et brutale.

Durant les dernières années, la France a étroitement collaboré avec les États-Unis pour la sécurisation du Sahel. Depuis la guerre du Mali 2012, Paris s’est acharnée à militariser cette région sulfureuse par la mobilisation d’un discours moralisateur sur la lutte contre le terrorisme. Otage du statut autoproclamé de nation bienveillante à l’égard de l’Afrique, elle estime que ses efforts militaires stabilisent l’autoroute sahélienne, particulièrement dans le nord Mali, où les structures de surveillance sont faillibles et la porosité des frontières est un vrai défi sécuritaire. C’est donc en mémoire d’un passé militaire glorieux et d’intérêts géostratégiques abyssaux que les forces étrangères s’embourbent au Sahel, où elles risquent l’enlisement et l’échec.

L’opération Barkhane : la France en gendarme sahélien 

À la fin de l’intervention au Mali en juillet 2014, la France a lancé une importante opération militaire au Sahel. Dénommé Opération Barkhane, elle succède aux opérations Serval, au Mali (2003), et Épervier, au Tchad (1986). L’Opération Barkhane est au cœur de la stratégie française de lutte contre le terrorisme et les groupes armés en Afrique. Selon Jean-Yves Le Drian, ministre français de la Défense, les objectifs de la mission sont doubles : appuyer les gouvernements du G5 sahélien – Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad – dans leur lutte contre les réseaux terroristes, et contribuer à soutenir les efforts de sécurisation en empêchant la reconstitution de sanctuaires extrémistes dans la région. Le poste de commandement interarmées est situé à N’Djamena (Tchad) avec des bases permanentes à Gao (Mali) et à Niamey (Niger). Forte de 3500 militaires français dont 1000 sont postés au Mali, 1 200 au Tchad et le reste à travers les autres pays du Sahel, l’opération s’inscrit dans une stratégie proactive et souple de lutte antiterroriste, en collaboration avec les armées locales.

Niger : la Mecque des bases étrangères

Après Djibouti où l’armée américaine détient sa seule base permanente en Afrique, Agadez va devenir le point de départ des drones occidentaux. Un projet militaire stratégique dont le coût de financement serait aux alentours de 100 millions de dollars. La base d’Agadez se veut une véritable plateforme de soutien à l’opération française Barkhane. Elle est aussi une expérimentation des nouvelles formes de guerre au 21e siècle. Grâce à des drones comme le MQ-9 Reaper, les frappes franco-américaines pourraient atteindre des cibles à plus de 1500 km de distance, et garantir une plus grande efficacité dans la lutte armée contre les groupes terroristes.

Selon l’ancien porte-parole du Pentagone, Michelle Baldanza, « le site d’Agadez sera géré exclusivement par les États-Unis, qui partagent actuellement une base militaire avec l’armée française à Niamey (Niger). La majorité des drones sont généralement utilisés pour des missions de surveillance par les U.S. Air Force. Agadez n’est aucunement destinée à devenir une base permanente américaine ». En plus de la base d’Agadez, d’autres sites gérés par les armées françaises et américaines ont émergé du désert nigérien. La base française de Madama est la plus avancée vers le Nord. Elle est présentée comme une « base sensible » à caractère temporaire. Au Sud, la base de Diffa joue le rôle d’avant-poste de choix dans la guerre contre Boko Haram. Il y aussi les sites de Dirkou et Zinder pour les forces américaines, et la base controversée d’Aguelal (nord-ouest du Niger), tout proche des sites miniers d’Areva, le géant français du nucléaire. Par conséquent, le Niger devient, discrètement, mais sûrement, le hub régional de la lutte antiterroriste.

Désormais, d’autres nations s’invitent dans la parade militaire sahélienne. Lors d’une tournée régionale historique en octobre dernier, Angela Merkel a présenté les grandes lignes de la stratégie allemande au Sahel. Elle envisage de déployer 850 hommes au Niger avec l’établissement à terme, d’une base militaire logistique pour soutenir la mission onusienne au Mali (MINUSMA). Habituellement neutre face à l’interventionnisme français et américain, l’Allemagne va aligner sa politique sécuritaire au Sahel sur les objectifs de la MINUSMA ainsi que la mise en place de programmes de développement militaire, orientés sur la formation des armées locales.

Un autre « pays du Nord » s’insérera prochainement dans le concert sécuritaire sahélien. En effet, le Canada, qui souhaite redorer son blason diplomatique à l’international, miné par une décennie conservatrice, mais surtout monnayer une place au sein du Conseil de sécurité, annoncera prochainement sa participation au sein de la MINUSMA. Le ministre des Affaires étrangères du Canada, Stéphane Dion, considère que le Canada se doit d’appuyer le processus de paix en cours au Mali suivant les objectifs de l’Accord d’Alger pour la paix et la réconciliation au Mali. Le Canada souhaite donc donner un nouveau souffle à la MINUSMA dont la mission a été prolongée jusqu’en juin 2017.

Insécurité et présence contestée

Le lundi 5 décembre 2016 s’est tenu à Dakar le Forum sur le Paix et la Sécurité en Afrique. Un rendez-vous annuel avec pour slogan « L’Afrique face à ses défis sécuritaires : regards croisés pour des solutions efficientes ». Toutefois, le forum s’est achevé sur des constats amers: insécurité et craintes citoyennes, rôle des armées locales et résurgence des bases étrangères, et surtout l’asymétrie de la coopération militaire.

Dans l’excellente recherche « Militaires occidentaux au Niger: présence contestée, utilité à démontrer», Georges Berghezan, spécialiste des questions sécuritaires au Sahel, conclut que les déploiements étrangers « passent très mal » auprès de la population et de l’armée nigérienne, habituées à ne pas déléguer leurs instruments de défense et viscéralement attachées à la souveraineté de leur pays. La présence militaire occidentale engendre une hostilité́ croissante parmi de larges pans de la société nigérienne. Chez les militaires nigériens, un pourcentage élevé de soldats pensent que la France sert ses propres intérêts et qu’elle contribue à l’instabilité ou à l’aggravation du conflit. Les arguments récurrents des officiers sont l’atteinte à la souveraineté́ nationale et l’inefficacité́ du soutien. Les soldats nigériens font le constat d’une coopération asymétrique, discontinu avec l’armée française, qui les cantonne dans un rôle de subalterne. Ce sentiment de frustration généralisée devrait inquiéter au plus haut point les autorités françaises quant à la pérennité́ de la coopération militaire au Sahel.

De plus, des zones entières échappent au contrôle des forces maliennes et françaises, surtout dans le nord du Mali, et ceci, malgré des moyens draconiens déployés par l’opération Barkhane. Récemment, Andalous Media, l’organe de propagande d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) a diffusé une vidéo montrant l’exécution publique de deux maliens, et menaçant la population du même sort si cette dernière fournit des informations sur les terroristes de la région. Longtemps concentrés à la croisée des frontières sahélo-saharienne, les groupes terroristes se déploient désormais vers le sud jusqu’au Burkina Faso, comme lors de l’attaque de Ouagadougou en janvier 2016. Plus dangereux encore, l’interventionnisme tend à devenir dans le discours extrémiste le leitmotiv qui justifie des attaques terroristes à l’étranger comme au Sahel, et l’incarnation intra-muros, de l’ «Occident » colonisateur, spoliateur, soutenant les pires régimes et menant une croisade contre les « pays musulmans ».

Le dépeçage sécuritaire du Sahel contre un ennemi sans visage dans un désert plus grand que l’Europe rebiffe en grande majorité les Africains. Il crée ipso facto, une frustration généralisée et une escalade d’insécurité dont les populations sahéliennes peuvent payer un lourd tribut.


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