Le Québec en motoneige : l’appel de la forêt

Si vous n’aimez pas la mer, si vous n’aimez pas la montagne (mais la neige, oui), allez au Québec! Car en vérité, pour une partie de la population vaguement portée sur la misanthropie, le ski alpin traditionnel, franchement, c’est compliqué: il faut avoir l’esprit grégaire, et tout le monde ne l’a pas.

Faire la queue au magasin bondé de location de skis, puis faire la queue au tire-fesses, faire la queue au télésiège, faire la queue aux télécabines, arriver enfin en haut, faire la queue dans un restaurant également bondé de gens en vêtements fluo avec du stick blanc sur les lèvres et qui parlent trop fort, descendre les pistes en vingt minutes, puis recommencer toute la journée et remettre cela le lendemain? Tout cela au péril de se casser un bras ou une jambe? Sérieusement? A d’autres!

Mais si vous rêvez de croiser un minimum de vos congénères, de ne pas arpenter infiniment un même domaine, si vous avez des envies de neige, de glisse, de tranquillité, de vitesse, de grands espaces vides, oui, vides!, alors le rêve est à sept heures d’avion… Direction Montréal, la charmante ville où voisinent modernité et tradition, et puis c’est l’appel de la forêt!

Le Québec (et le Canada en général) a ceci d’agréable que, dès qu’on sort des villes, la nature sauvage est là, partout, tout de suite! Des milliers de lacs, des forêts à perte de vue et surtout – quel bonheur! – une campagne faiblement peuplée. En deux heures de route, le touriste français est en Mauricie, dans un pays où l’on parle sa langue mais où tout est différent: ici, pas d’entrées de villes affreuses, de ronds-points à tire-larigot, de publicités envahissantes.

La nature est sauvage et les Québécois, qui en sont les premiers visiteurs, entendent bien qu’elle reste ainsi. De Montréal ou de Québec, à côté, nos cousins partent le week-end ou pendant les vacances visiter les lacs et les forêts. On les comprend, c’est autre chose que le bois de Boulogne ou l’étang de Paimpont… En hiver, il peut faire doux: dans les moins 15 degrés Celsius.

Mais le climat local peut gâter les amateurs de sensations fortes et parfois avoisiner les moins 25, moins 30. C’est viril. Très facilement accessible par la route, donc, la Mauricie -le cœur du Québec, «là où tout a commencé», disent ses habitants- offre des avantages dont ne dispose pas le Grand Nord canadien: on peut s’y prendre pour Jack London sans risquer quoi que ce soit, il y aura toujours un village à quelques kilomètres. Et puis, il y a des arbres.

La région représente 40000 kilomètres carrés pour 267000 habitants seulement, se situe au nord du Saint-Laurent et s’organise autour de la vallée de la rivière Saint-Maurice et de rivières plus modestes aux noms charmants, Sainte-Anne, Batiscan, Sacacomie, Maskinongé et notre favorite, la rivière du Loup. Les villes principales -Trois-Rivières, Shawinigan et La Tuque- ne sont pas d’une renommée internationale mais peu importe, le voyage prévu ne passe, pour ainsi dire, par aucune agglomération.

Au lieu des villes, ce sont 17000 lacs et des dizaines de réserves fauniques qui s’offrent au voyageur. C’est un fantasme pour les solitaires de tous bords: passer une semaine ou plus en pleine nature, mais en toute tranquillité, et avec le confort. Tout le monde n’a pas les ressources de Sylvain Tesson ou de Cédric Gras non plus!

La Mauricie a toujours été parfaite pour les amateurs de calme: au cours des siècles, la région a uniquement été un lieu de passage, et ceux qui l’ont habitée n’y sont restés que temporairement, sans jamais vraiment s’y installer.

Territoire des peuples nomades algonquiens plus tard décimés par les Iroquois, elle est devenue par la suite le lieu de prédilection d’une intense exploitation forestière, heureusement freinée et maîtrisée à partir des années 1950: l’endroit a retrouvé sa splendeur et les spécialistes affirment qu’on peut y «admirer un territoire boréal intact tel qu’il a pratiquement toujours existé depuis le retrait des glaces il y a huit mille ans»!

Le «tourisme intelligent» des Québécois a donc porté ses fruits, et de lourds moyens ont été mis en place pour que la région puisse être découverte par tous: ce ne sont pas moins de 5000 kilomètres de pistes, voies et sentiers parfaitement entretenus qui sillonnent la forêt et les lacs gelés.

Une merveille aux proportions tellement gigantesques qu’il faut bien un moyen de locomotion adapté pour s’y promener: ici, tout est bien trop vaste et retiré pour chausser les raquettes ou envisager le ski de fond. Par conséquent, les Québécois se sont entichés de la motoneige, curieux engin peu répandu chez nous mais idéal pour se déplacer et atteindre des endroits que le tourisme de masse n’a pas ravagés.

Ici, tous ceux qui peuvent se le permettre (le forfait annuel servant à couvrir l’entretien des sentiers est très cher) le pratiquent, y compris des hommes et des femmes ayant largement plus de 70 ans. C’est à Saint-Alexis-des-Monts que nous rejoignons notre guide: impossible pour un touriste de se promener seul dans ce labyrinthe d’arbres et de neige.

Par ces températures, même si le ciel est d’un bleu acier et le vent absent, il s’agit de s’équiper et d’empiler les couches: des collants, de grosses chaussettes, un tee-shirt à manches longues et à col montant en matière adaptée au grand froid, puis une polaire. Ces habits sont ensuite recouverts d’une combinaison, d’une veste et de bottes spéciales fournies par l’organisme de location, la tête du conducteur étant protégée par une cagoule et un casque intégral.

Finalement, il est temps de chevaucher la bécane pour jouer Easy Rider au pays des ours bruns (en hibernation). Avec une poignée d’accélération et un frein très efficace sur la poignée gauche, la conduite est a priori aussi simple que celle d’une Mobylette.

A ceci près que, à l’avant, ce n’est pas une roue mais deux skis qu’il faut tourner pour virer à gauche ou à droite: la motoneige ne penche pas et les skis doivent être manœuvrés comme les roues avant d’une voiture. A l’arrière, le lourd bloc où se trouvent les chenilles a tendance à «chasser» dans les virages lorsqu’on prend de la vitesse.

Un peu de pratique permet d’anticiper et de corriger ce comportement un peu déroutant. Mais, en quinze minutes, même celui qui n’a jamais fait de moto ni de scooter est à l’aise sur l’engin surpuissant capable de grimper les pentes les plus escarpées. Il suffit de veiller à bien attaquer de face en montant ou en descendant pour que le poids de l’arrière ne fasse pas dévier la machine. Et alors, c’est la liberté.

Pour les néophytes que nous sommes, la sensation est extraordinaire. Le contact mis, nous commençons à filer dans la forêt. Aucun poteau électrique, aucune habitation. Partout, la neige et les arbres sous un soleil parfait. La machine accélère et freine à la perfection. Les poignées chauffantes réconfortent les mains, la combinaison garantit une température idéale.

Nous montons, descendons, tournons, ralentissons au fur et à mesure que nous nous enfonçons dans un tableau d’où les hommes sont exclus: les heures passent et nous ne croisons personne. Parfois, on s’arrête pour poser pied à terre et admirer le spectacle, ce manteau neigeux et la frondaison dans un relief joliment bosselé. Ici, nous croisons un cours d’eau, là, nous mettons les gaz sur un lac gelé transformé en immense plaque blanche cerclée d’une forêt d’arbres géants…

Le but du voyage est de visiter la région soit en rayonnant depuis un hôtel donné avant d’y revenir le soir, soit en en rejoignant un autre après plusieurs heures de conduite. Les bagages, généralement, sont acheminés par voiture. Steve, le guide, nous emmène sur des sentiers hors-piste où nous nous frayons un passage étroit, les branches des arbres fouettant nos casques.

La machine se laisse finalement dompter mais son arrière-train gigote dans les virages en épingle à cheveux. Mieux vaut rouler doucement… A proximité d’une rivière, un mur de neige se dresse. Le guide accélère puis disparaît derrière le sommet. Le photographe, aguerri, fonce à son tour. Moment de perplexité: allons-nous y parvenir? Finalement, il suffit d’accélérer doucement pour ne pas s’enneiger, et la moto grimpe, presque à la verticale.

Arrivés en haut, nous contemplons un énième lac gelé. La vue est d’une beauté tétanisante. Nous voici arrivés à la Pourvoirie du Lac Blanc… Ici, une «pourvoirie» est une sorte d’hôtel faisant également office de club de pêche et de chasse, généralement situé au bord d’un lac, ce qui ne manque pas dans la région. Fourbus, nous prenons nos chambres respectives.

La soirée sera l’occasion de renouer avec l’espèce humaine, bien que celle-ci soit assez différente de ce que nous connaissons sur le Vieux Continent. Nous rencontrons Gaston Pellerin, propriétaire manifestement légendaire de la pourvoirie locale. Le taulier, débonnaire et direct, nous présente à d’autres autochtones réunissant tous les mêmes qualités.

Pour le Français qui met les pieds dans ce pays pour la première fois, c’est une révélation: le Québécois est jovial, débonnaire, grivois, optimiste. Il est simple et franc, des qualités que nous avons oubliées. Il parle un français pur et traque le moindre anglicisme. Si, par malheur, vous employez les mots «week-end» ou «parking», il est à peu près certain que vous finirez écorché vif puis coulé dans le lac lesté par un glouton mort.

C’est un langage châtié avec des «A tantôt», des «Avez-vous?» et des «Voulez-vous?» (au lieu des très français «Vous voulez?» ou «Vous avez?»), des «dîner» au lieu de «déjeuner» et autres «Il ne faut pas niaiser». Ces gens devraient être académiciens à titre honorifique. Une loi locale interdit d’ailleurs dans tous les commerces l’usage des mots anglais… Alors qu’arrive le repas, une chose se précise: ce voyage est un rêve. Personne pendant la journée, et le soir, des hominidés rêvés comme on en voit nulle part en Europe (à la possible exception de la Belgique). Juste ce qu’il faut pour restaurer sa foi en l’espèce humaine. Peut-on imaginer mieux?

Le lendemain matin, observant l’immensité du lac gelé et couvert de neige s’étendant sous nos fenêtres, on réalise une chose étonnante: comme les premières fois où on a fait du ski, du cheval, comme la première fois où on a traversé une forêt d’icebergs, la nuit a été peuplée des souvenirs de la veille: on a rêvé de la motoneige au milieu de la forêt défilant… Mais il est temps d’enfourcher la machine et de suivre Gaston et ses amis pour une pêche blanche sur le lac.

Une scie torsadée pour découper un cylindre de glace, une ligne, un appât, un feu, une casserole et un peu d’huile, et voici la truite chaude et fraîche qui croustille sous le palais en plein milieu du lac d’ivoire. Il fait moins 15, le ciel est turquoise, il n’y a pas un bruit. Pendant ce temps, les Parisiens mangent du pneu avec des frites sur les grands boulevards… Puis, nous repartons pour 50 kilomètres à motoneige (chaque jour, nous en effectuerons entre 50 et 100), en direction de l’hôtel Sacacomie après avoir visité la jolie Pourvoirie de Mastigouche.

Réunion de plusieurs gros chalets entièrement construits en rondins au diamètre monstrueux, envahi par les cheminées qui crépitent et les animaux locaux empaillés (orignaux, gloutons, ours, castors, etc.), l’hôtel Sacacomie fait presque figure de bourgade à lui tout seul. Les Québécois l’adorent et s’y rendent en masse hiver comme été.

Sa situation de rêve, au-dessus d’un immense lac et aux portes de la forêt -le lieu a servi de décor à La Neuvième Porte, l’un des rares authentiques navets de Polanski- lui garantit un succès éternel et les activités proposées (pêche, chasse, cours de pilotage de voiture de course sur glace -ice driving-, location d’hydravion, etc.) attirent les clients aisés du monde entier, même si beaucoup viennent avant tout pour la motoneige.

Que nous reprenons, toujours sous le soleil, pour faire du hors-piste et sillonner le lac Larose avant de grimper dans l’hydravion à côté de l’hôtel et survoler la région de la réserve Mastigouche jusqu’à la ville de Trois-Rivières. Sous nos yeux, tout en bas, la beauté de la Mauricie s’étale à perte de vue. Puis c’est le départ pour le Lac-à-l’Eau-Claire. Encore des kilomètres à sillonner forêts, lacs et vastes plaines. Lorsque le paysage est dégagé, les sensations de vitesse sont décuplées: en roulant à 70 kilomètres à l’heure sur la neige, on a l’impression d’être à 200…

L’arrivée à l’hôtel est une féerie: le fameux Lac-à-l’Eau-Claire est un grand tapis blanc et ses îles, des taches vertes posées ici et là. Le calme est de mise et le silence frappant par rapport à l’agitation joyeuse de Sacacomie. Un tour en traîneau tiré par des chiens permet d’apprécier la forêt à un autre rythme que celui de la motoneige. Allongé sur l’assemblage de bois recouvert de peaux de bêtes, on regarde les canidés tirer l’attelage et les arbres défiler. Demain, il faudra rentrer en France. Dieu, comme tout paraîtra petit!

Carnet de voyage

Utile

Office du tourisme de Mauricie : (00.1.800.567.7603). Décalage horaire: quand il est 18 h en France, il est midi à Montréal.

S’équiper grand froid: de la tête aux pieds, une tenue adaptée aux conditions extrêmes est indispensable. Eider propose ainsi une veste en Gore-Tex et duvet de canard inspirée des vêtements d’expédition (compter 550 €). Côté sous-vêtements techniques, le modèle Blackcomb Evolution Warm chez Odlo (environ 100 €) est un must. Pour les chaussures, les bottes Caribou chez Sorel avec leurs chaussons amovibles en feutre recyclé, garantissent un confort optimum jusqu’à – 40 °C (environ 160 €).

Organiser son voyage

Avec Voyageurs du Monde (01.84.17.57.98). Au Québec, ce spécialiste du sur-mesure propose un large choix de découvertes et assure un suivi personnalisé via sa conciergerie qui permet, une fois sur place, de modifier et d’adapter son séjour. Autre point fort, la possibilité de cumuler des Miles Flying Blue et un accès à une gamme de services qui font la différence: minirouteur Wi-Fi gratuit pour surfer sur la toile où que l’on soit, appli «carnet de voyage» chargée de bonnes adresses, etc. Pour un séjour d’hiver au Québec et faire le plein de sensations fortes (raquettes, ski de fond, motoneige et traîneau à chiens), compter 2 800 € pour une semaine, vols inclus.

Nos adresses

A Montréal. L’Hôtel Nelligan (00.1.877.788.2040). Dans le quartier historique, à deux pas du vieux port, un boutique-hôtel de très grande classe, idéalement situé dans la charmante et très commerçante rue Saint-Paul, près de la place Royale et de la basilique Notre-Dame. A noter, son restaurant est l’une des meilleures tables de la ville. A partir de 135 € la nuit.

En Mauricie, à Saint-Alexis-des-Monts. L’auberge de la Pourvoirie du Lac Blanc (00.1.819.265.4242). Ambiance chaleureuse et rustique dans cette vaste pourvoirie dominant le lac Blanc. Le lieu idéal pour débuter le périple en motoneige, mais également pour la pêche blanche (et la chasse, lorsque la saison s’y prête). Excellente table proposant des poissons locaux et du gibier. Le débonnaire patron, Gaston, une légende locale, divertit volontiers les clients. N’hésitez pas à vous adresser à lui. A partir de 111 €.

L’Hôtel Sacacomie (00.1.888.265.4414). Construit en rondins gigantesques, situé dans la forêt surplombant le lac Sacacomie (42 km de circonférence), à côté de la réserve Mastigouche, c’est l’hôtel vedette de la région! De nombreuses stars s’y sont rendues et l’adresse est l’une des préférées des Québécois pour leurs vacances et week-ends. Des cheminées partout et des animaux empaillés sur les murs contribuent à l’ambiance boisée grand luxe de ce lieu au chic hors norme. Outre les services classiques (spa, suites, chalets privés, etc.), l’hôtel propose toutes sortes d’activités, de la conduite de voiture de sport sur glace au survol en hydravion. Excellente table. Compter 135 €.

Auberge du Lac-à-l’Eau-Claire (00.1.877.265.3185). L’inverse du Sacacomie: une pourvoirie au design épuré, parfaitement sobre mais très luxueuse, dominant un autre plan d’eau, le lac à l’Eau-Claire, lequel est parsemé d’îlots qui, en hiver, ressemblent à des bosquets posés sur la glace. Un havre de paix qui offre plusieurs activités dont les balades en traîneau à chiens dans un paysage de rêve. A partir de 111 €.

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