LE CERVEAU ET LE CORPS EN RELATION Recherches effectuées par Ellen Langer, professeure à Harvard L’article cité en référence par Equilibrio, met en lumière les travaux d’Ellen Langer, maintenant âgée de 67 ans (automne 2014), et qui est « … la professeure de psychologie ayant enseigné le plus longtemps à Harvard. Bob Bodenhamer ajoute: cet article relate plusieurs expérimentations cliniques qui démontrent à quel point notre cerveau et notre corps ne font qu’ « un.” Il n’est pas question ici de « cerveau et corps ». Pas même d’« esprit-corps » ; en réalité, on devrait s’y référer comme «cerveau corporifié».1 L’article était précédé par : «Percée scientifique en biologie de la croyance. » « Cet article renforce ma solide croyance en la capacité de l’esprit à influencer la physiologie. » (Bob Bodenhamer)
Le vieillissement ne serait-il qu’un état d’esprit ?
À l’automne 1981, huit hommes septuagénaires se retrouvent dans un monastère reconverti du New Hampshire (on allait appeler cela « the counterclockwise study »). Certains d’entre eux ont de la difficulté à se déplacer. Tout à l’intérieur du monastère reproduit ou rappelle l’année 1959. Le monastère allait être leur résidence pendant 5 jours alors qu’ils participent à une expérience radicale conçue par une jeune psychologue du nom d’Ellen Langer. Bien que les sujets soient en bonne santé, l’âge avait laissé sa marque. Avant leur arrivée, on leur a administré une batterie de tests afin de déterminer leur âge corporel et leur état de santé général. Langer prédit que les résultats allaient, après les cinq jours d’intense intervention psychologique, être bien différents. Ellen n’en était pas à sa première expérimentation auprès de personnes âgées. Lors d’une précédente expérimentation, Langer avait pu constater que le modèle biomédical dominant – selon lequel le cerveau et le corps sont totalement séparés – faisait fausse route. Selon la croyance populaire, « la seule façon d’être malade est par l’introduction d’un pathogène ; et la seule manière de s’en remettre consiste à s’en débarrasser.» Langer pensait que ce dont nous avons besoin pour nous guérir nous-mêmes, c’est d’un « coup de main » psychologique – quelque chose qui motive le corps à prendre des mesures curatives par lui-même. On demanda au groupe non seulement de retourner dans leur passé, mais de l’habiter, de le revivre, de se le réapproprier – de « faire un effort psychologique pour redevenir cette personne qu’ils étaient il y a 22 ans. » Langer dit à ces hommes : « Nous avons de bonnes raisons de croire que s’y vous y parvenez, vous vous sentirez à nouveau comme en 1959. »
Dès qu’ils eussent franchi la porte, on les traita comme s’ils étaient des hommes plus jeunes. Tout ce dont ils parlaient était en relation avec la fin des années 1950, une des principales stratégies de mises en situation de Langer. Rien ne devait leur rappeler qu’ils avaient vieilli de 22 ans. À la fin de leur séjour, on les testa de nouveau. Ils étaient plus souples, démontraient une plus grande dextérité manuelle et s’assoyaient plus droit et plus haut – comme Langer l’avait prédit. Le plus surprenant fut l’amélioration de leur vision. Sans parler de ceux qui se mirent spontanément à jouer au football contact en attendant qu’arrive l’autobus qui les ramènerait à Cambridge ! Des témoins indépendants affirmèrent qu’ils avaient l’air plus jeunes. « Ces sujets expérimentaux, » ajouta Langer, « avaient transporté leur esprit à une époque plus jeune » et leurs corps les y avaient accompagnés. Ces résultats étaient presque trop beaux. Ils défiaient les croyances coutumières. Méfiante envers de tels résultats, Langer se mit à songer à tout ce qui aurait pu biaiser ceux-ci.
Elle hésita à publier son expérimentation. « C’était bien trop différent de l’école dominante, de tout ce qui se faisait dans ce domaine tel que je le comprenais » dit-elle. Vous devez comprendre que (à cette époque – les années 1980), on ne parlait pas encore de médecine esprit-corps. Langer refusa de refaire une autre expérience semblable à cause des contraintes monétaires et matérielles. Mais en 2010, une autre expérience (The Young Ones), cette fois avec six anciennes célébrités, fut télédiffusée par la BBC avec des résultats similaires. Ce qui fit dire à Ellen : « On les a sortis de leur boule de naphtaline pour les faire se sentir à nouveau importants et peut-être, » médita-t-elle plus tard, « que cette renaissance de leur ego fut centrale à la renaissance de leurs corps. » Ce reportage attira de nouveau l’attention sur les travaux de Langer. Un collègue, Jeffrey Rediger, ajouta, en parlant de Langer : « Elle est parmi les gens de Harvard qui savent voir la vérité. Le fait est que la santé et la maladie sont bien plus enracinées dans nos esprits et nos cœurs – ainsi que la façon dont nous nous percevons dans le monde – ce que nos modèles actuels ne font que commencer à comprendre. » Dès les années 1970, Langer est non seulement convaincue que la plupart des individus sont induits en erreur par leurs attentes, mais qu’ils sont aussi spectaculairement inattentifs à ce qui se passe autour d’eux. « Ils ne se connectent simplement pas au moment présent (à l’ici et au maintenant). » Et lorsque vous n’y êtes pas, raisonne Langer, vous êtes susceptible d’aboutir là où vous vous êtes dirigé. Elle élabora un certain nombre d’études pour démontrer comment la pensée et le comportement humains peuvent être facilement manipulés par de subtiles motivations. Si les gens pouvaient être en pleine conscience, à même de toujours percevoir les choix qui leur sont disponibles, affirme Langer, ils atteindraient leur plein potentiel et amélioreraient leur santé.
La technique de Langer pour atteindre la pleine conscience diffère de celle utilisée dans la « méditation pleine conscience » orientale – conscience de nos pensées et des émotions traversant notre esprit sans les juger – qui se retrouve aujourd’hui un peu partout. Elle met l’accent sur la nécessité de noter, moment par moment, les changements s’opérant dans notre environnement immédiat, que ce soit une différence dans le visage de notre conjoint à l’autre bout de la table ou la variabilité de symptômes d’asthme. Lorsque nous nous livrons activement à de nouvelles distinctions, plutôt que de nous en remettre à nos catégorisations coutumières, nous sommes en vie ; et lorsque nous sommes en vie, on peut s’améliorer. En vérité, depuis le tout début de sa carrière, « le bien-être et une performance accrue » ont toujours été l’objectif de Langer. Tal Ben- Shahar, qui enseigna, jusqu’en 2008, un cours particulièrement populaire à ce sujet à Harvard, désigne Langer comme « la mère de la psychologie positive » à cause de ses travaux initiaux qui anticipèrent cette discipline. Langer en vint à croire qu’une façon d’ accroître notre bien-être est d’utiliser toutes sortes de placébos. Les placébos ne sont pas que des comprimés sucrés déguisés en médicaments, bien que cela soit la définition qu’on en fait ; il s’agit de toute intervention, bénigne mais que l’administré croit puissante, et qui produit des changements physiologiques mesurables.
L’effet placébo constitue un phénomène saisissant qu’on ne comprend pas encore entièrement. Des disciplines telles que la psychoneuroimmunologie et la psychoendocrinologie ont pris les devants pour analyser la relation entre les processus psychologiques et physiologiques. Les neuroscientifiques sont à schématiser ce qui se passe dans le cerveau lorsque les seules attentes (expectations) diminuent la douleur ou soulage les symptômes du Parkinson. Bien que des chercheurs plus traditionnels reconnaissent le rôle de l’effet placébo et en tiennent compte dans leurs expérimentations, Langer va beaucoup plus loin. Elle croit qu’ils sont énormes – tellement importants que, dans plusieurs cas, ils peuvent s’avérer le principal facteur produisant des résultats. Parlant des hommes qui sont chauves dès un jeune âge, Langer fait remarquer : « La calvitie est un indice du vieil âge. Alors, les jeunes hommes qui deviennent chauves peuvent se percevoir comme étant plus âgés et on peut donc s’attendre à ce qu’ils vieillissent plus rapidement. » De telles attentes peuvent donc les entraîner à ressentir les effets du vieillissement.
En 2009, Langer organisa une expérimentation (the hair-salon study) afin d’explorer cette relation entre l’attente de vieillir et les signes physiologiques de santé. Les résultats furent publiés en 2010 dans le Journal Perspectives on Psychological Science, témoignant que les sujets (des femmes âgées de 27 à 83 ans) qui se percevaient comme étant plus jeunes (après une visite au salon de coiffure) connaissaient une diminution de leur pression artérielle. Dans une précédente étude que Langer conduisit avec une de ses étudiantes, elles constatèrent que des femmes de ménage de grands hôtels, à qui on avait dit que leur métier constituait en vérité un exercice physique supérieur à ce qu’elles croyaient (modification de leurs attentes), se mirent, en comparaison avec un groupe de contrôle, à perdre du poids en plus de connaître d’autres améliorations corporelles, tout autre facteur demeurant par ailleurs constant. La seule différence, dans ce cas, fut un changement d’état d’esprit. Certaines des expérimentations à venir reposeront sur des variables qui modifient la perception de soi. Suite à une autre expérimentation menée il y a quatre ans avec des simulateurs de vol, Langer conclut : il est clair « qu’une manipulation de l’état d’esprit peut faire échec à de présumées limites physiologiques. »