Journées internationales du marketing touristique à Alger

Les paradoxes d’un secteur en jachère

Des débats techniques mais aussi passionnés sur le rôle du marketing dans la relance du tourisme national ont marqué ces 8èmes journées.

Deux jours durant, les 5 et 6 octobre derniers, professionnels du tourisme, experts nationaux et étrangers, spécialistes des TIC se sont penchés sur les questions du marketing touristique et les moyens de redorer le blason du tourisme national et améliorer sa visibilité. Organisées par RH International, agence spécialisée en événementiel, les 8èmes journées internationales du marketing tenues à l’hôtel El Aurassi d’Alger, sous le parrainage du ministère de l’Aménagement du territoire, du Tourisme et de l’Artisanat, ont été l’occasion de débats très techniques, mais aussi passionnés sur le rôle du marketing dans la relance du tourisme national. Quoiqu’en berne depuis plus de deux décennies, tout le monde en convient, beaucoup d’optimisme ressortait des différents communicants et des débats qui s’ensuivirent.
Après une analyse de la situation dans le monde et en particulier dans la Méditerranée et dans le Maghreb, Jean-Pierre Lozato-Giotart, expert international en écotourisme, prophétisera:
«L’avenir du tourisme dans la région sera algérien.» Il fondera sa déclaration sur le potentiel touristique inégalé de l’Algérie, mais aussi sur la jeunesse du pays, et l’inéluctabilité du choix du tourisme comme tremplin de développement.

C’est la faute à l’Etat…

L’intervention de Abdelhamid Terguini, directeur central de l’aménagement touristique fera un état des lieux avec une vérité insoupçonnée de la part d’une institution publique régulièrement décriée pour sa langue de bois. Là, il s’agit d’un diagnostic complet, sans complaisance et reflétant la réalité du tourisme algérien tant dans ses points forts que dans ses points faibles. Rien ne sera omis,
«le problème du foncier, l’insuffisance des structures d’accueil, la sous-utilisation des TIC, le manque de qualification des personnels, l’inefficacité des institutions financières, l’absence de visibilité» sont autant de points faibles que Abdelhamid Terguini avouera à l’assistance, très intéressée par ses nouvelles formes de communication de l’institution en charge du tourisme. L’intervenant fera étalage également des nombreux atouts dont dispose l’Algérie.
Mais alors, se pose la question de savoir pourquoi l’Algérie touristique n’arrive pas décoller et reste à la traîne des nations touristiques, pourtant de moindre potentiel?
«C’est à cause de l’absence de volonté politique» tranchera Saïd Boukhelifa, expert en tourisme et membre de l’Association mondiale de la formation hôtelière. «C’est, selon lui, la source du mal.»
«L’affirmation maintes fois répétée par les pouvoirs publics, selon laquelle le tourisme est une priorité est de la poudre aux yeux, poursuivra-t-il, car dans la réalité du terrain, ces affirmations ne trouvent pas leur prolongement.»
Dans l’assistance, on voit les choses autrement. «On ne peut aussi injustement et perpétuellement imputer la responsabilité à l’Etat», dira un professionnel, présent dans la salle. «De nombreux éléments perceptibles dénotent l’engagement des pouvoirs publics dans le soutien au tourisme», poursuivra-t-il.

Les nombreuses facilitations fiscales et parafiscales, les instructions données aux banques pour faciliter l’accès au financement des projets, les sommes faramineuses mobilisées pour la rénovation et la modernisation du parc hôtelier public et notamment l’hôtellerie saharienne, les investissements dans la formation…sont autant de preuves de l’engagement de l’Etat», ajoutera-t-il. Pour ce professionnel, les raisons du retard du tourisme sont à rechercher ailleurs. «Une société réfractaire au tourisme, l’incompétence et une transversalité inopérante» sont les raisons du retard du tourisme national et de son incapacité à satisfaire, autant la demande nationale qu’internationale et se positionner dans une démarche évolutive.
«L’activité de services en général et en particulier celle de l’hôtellerie, rappellera-t-il, a de tout temps été considérée comme une activité dégradante. Conjuguée à un esprit d’assisté très largement répandu et favorisé par une rente pétrolière confortable qui subvient à ses besoins, il n’a que faire de services avilissants.»

«L’autre raison est celle de l’incompétence à certains postes de mise en oeuvre du projet touristique. Une incompétence due à un appareil de formation obsolète. Les installations sont vétustes, les équipements inopérants et les programmes largement dépassés. Même le système de l’enseignement général, de l’école à l’université est à revoir en lui intégrant un peu plus les vertus de la science et de la technologie.»

«Quant à la transversalité, ou l’intersectorialité, elle est inopérante dans la mesure où les autres secteurs liés directement ou indirectement à l’activité touristique ne jouent pas le rôle qui permettrait un essor du tourisme.»

L’évocation de la formation hôtelière fera réagir Abdelkader Lamri, président-directeur général de la Chaîne El Aurassi. En sa qualité de diplômé de l’école hôtelière de Vichy, en France, d’ancien formateur et de cadre du secteur depuis de nombreuses années, il est bien placé, en effet, pour porter une appréciation sur la formation hôtelière. «C’est vrai, dira-t-il que le secteur de la formation hôtelière accuse beaucoup de retard en matière d’équipements, de programme, de formation de formateurs, mais il faut rester optimiste. C’est vrai que certains métiers de l’hôtellerie sont mal perçus, voire considérés comme avilissants, mais il faut reconnaître qu’il y a en Algérie, actuellement, une jeunesse avide de savoir, motivée et très disposée à se lancer dans le secteur de l’hôtellerie.

Les ressources humaines existent

Il faut savoir l’encourager et lui dispenser une formation de qualité et en phase avec les nouvelles technologies». recommandera-t-il. Les nouvelles technologies ont été également au centre des débats. Deux communications leur seront consacrées. L’une par Guillaume Pepin, directeur de Jumia Travel Afrique de l’Ouest et Amir Bendjaballah, établi en France et expert en digital. Le premier considérera les utilisateurs et consommateurs comme «des touristonautes dans l’univers du marketing»et le second dira que «les évolutions engendrées par l’émergence de l’Internet permettent de créer un rapport plus direct entre les marques et les consommateurs».

Cherifa Bensadek, docteur en économie internationale abordera dans sa communication «l’innovation en hôtellerie et tourisme comme stratégie de démarcation efficace». «La robotisation inéluctable induite par les progrès technologiques» reste un débat passionné en ce qu’il évoque une certaine deshumanisation dangereuse pour l’activité touristique fondamentalement humaine.

Le débat sur la promotion touristique suscité par le représentant de l’Office national du tourisme fera ressortir pour sa part, la nécessité de doter cette institution de moyens humains et financiers plus conséquents, à l’instar des pays voisins, afin de lui permettre de jouer pleinement son rôle dans la visibilité de la destination touristique algérienne. Des débats, houleux quelquefois, passionnées mais très constructifs, qu’a permis Rachid Hassas, organisateur de l’événement «journées marketing».

Avec des intervenants d’envergure, une assistance motivée, tous les ingrédients d’une Algérie qui peut réussir étaient réunis pendant cet événement.

Seul bémol, l’absence criarde de cadres et de «chargés du marketing» des entreprises hôtelières et touristiques, qu’elles soient publiques ou privées. Et pendant que tout le monde n’arrête pas de répéter et de ressasser les besoins en formation, une réunion aussi étoffée que celle proposée par cet événement est désertée. Paradoxal, non?

Par Slimane SEBA

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