Il est incontestable que la protestation populaire soit massive et qu’elle va durer dans le temps. Il y a urgence à apporter une explication et une réponse à :
Yetnahaw ga3 «Ils dégageront tous»
1 – La réponse :
Ou bien nous allons à l’effondrement total de ce qui reste de l’État et à l’épuisement de toute forme de légalité ou bien il faut apporter d’autres solutions sans avoir la garantie de satisfaire les doléances et les revendications qui sont en train de devenir une spirale infernale de surenchères.
Bensalah, Belaïz et Gaiïd Salah peuvent être poussés au départ, mais ils seront remplacés par qui ? Le peuple n’a pas de nom ni de solution à proposer. Il n’a pas de leaders pour négocier le départ, les conditions du départ, et les modalités d’une période de transition. En dehors de la légalité constitutionnelle va se poser inévitablement la question de la légitimité et sur la base de quels critères peut-on dire que tel et non tel autre est légitime ou non ?
Les foules en colère sont unanimes pour le départ de l’ensemble du système, mais que signifie le « système », quelle représentation les Algériens ont du système et de son cœur : le pouvoir réel ? Comment démanteler ce système avec efficacité, célérité et en profondeur ? Peut-on le faire sans passer par les élections ou par une révolution en demeurant « Salmiya pacifique ». Il y a un paradoxe qu’il faut à un moment donné lever ?
S’il se produisait un attentat, une rupture psychologique des forces de l’ordre qui retrouveraient leurs anciens réflexes répressifs, ou une émeute, où sont les délégués du peuple, avec quel programme ils vont négocier et face à qui ?
Si on chemine vers une situation où la légalité n’est plus de rigueur, alors on va aller vers une situation inédite et ouverte à tous les périls : absence d’arbitres et absence d’arbitrage selon des règles communes ou selon le droit en vigueur.
L’urgence pour ne pas aller vers l’inconnu et être confronté à l’impossible consiste à prendre un certain nombre de mesures :
- Démettre le gouvernement actuel et nommer un gouvernement réduit de transition (gestion des affaires courantes et préparation des élections). Les membres de ce gouvernement ne doivent pas être issus ni des partis politiques, ni de la société civile « officielle » ni des syndicats. Des juges intègres et des enseignants peuvent être une forme de garantie et d’apaisement.
- Démettre tous les Walis et leurs staffs. Ils sont le vis-à-vis le plus direct et le plus honni par le peuple. Ils sont considérés comme les premiers acteurs de l’intimidation, de la fraude et de la corruption.
- Clarifier la feuille de route et les consignes sécuritaires pour les 90 jours
- Prendre l’engagement que la Justice algérienne ouvre tous les dossiers de corruption, de terrorisme et de violences y compris celles de l’État.
- Permettre à tous les opposants politiques de revenir au pays.
- Aller à un référendum : aller aux élections ou à un conseil de transition ?
- L’ANP doit s’engager à respecter le verdict des urnes et à faire respecter le principe républicain et démocratique : pas de violence pour l’acquisition, l’exercice ou le maintien au pouvoir.
- Répondre par la pédagogie et l’ouverture du débat en invitant les citoyens à la radio et à la télévision publiques
Par contre il ne serait pas sage de donner suite aux intentions de règlements de compte, de désignation de boucs-émissaires ou de dissolution des partis politiques. Le retour au calme et les élections vont éliminer les partis politiques et les syndicats non représentatifs.
2 – L’explication
- L’ancien régime est en train de tomber, il est donc normal qu’il y ait des secousses et des résistances. Ce régime et ses alliés objectifs de la rente et de l’Étranger vont tout faire pour que la contestation populaire dégénère en chaos ou se transforme en contre révolution.
- Il y a une frustration née de la Hogra et du mépris. Tous les peuples libérés ou en libération connaissent des moments de liesse, de ferveur, de réjouissances. L’oppression engendre le désespoir, la tristesse et la pénurie. Ce que j’ai condamné et je continue de le faire c’est l’excès, l’insouciance et l’enfoncement dans le narcissisme et le festif qui vont gaspiller l’énergie.
- Il y avait une bataille de clans et une bataille d’intérêts étrangers pour la succession de Bouteflika. Ali Ghediri en se démarquant des « lièvres » et en allant sérieusement aux présidentielles a joué le rôle de bougie d’allumage. L’irruption du peuple a joué le rôle d’explosion qui a fait volé en éclats toutes les pseudo légitimités et tous les arrangements d’appareils.
- Il y a une légitimité à faire valoir : la souveraineté du peuple. Mais il faut clarifier la notion de souveraineté et de peuple sinon on risque de transformer le peuple en une idole ou de lui donner de l’opium pour l’anesthésier et le rendre sans vigilance et sans lucidité sur les voies du changement.
1 – La souveraineté du peuple est un principe philosophique qui n’a pas d’existence physique au sens commun. Ou bien il y a une souveraineté de Dieu avec justice rendue au Nom de Dieu et nous avons un État théocratique ; ou bien nous avons une souveraineté du Roi (Reine) avec justice rendu au nom du monarque et nous avons une monarchie ; ou bien nous avons une souveraineté du Peuple avec justice rendu au nom du Peuple et nous avons une République (comprise comme Res Publica : chose publique. Sinon il y a ou l’Anarchie comprise comme un État avec des lois, mais sans classe, sans armée, sans police. A l’extrême nous avons l’absence d’État avec le chaos ou le retour aux tribus.
2 – Sur le plan de la réalisation philosophique de la souveraineté du peuple, nous pouvons avoir une République de type impériale sans démocratie ou de type bolchévique avec une domination de classe.
3– Sur le plan de l’exercice de la République donnant un contenu et une pratique à la souveraineté du peuple nous avons deux éléments fondamentaux :
3-1 L’Assemblée constituante et la Constitution. Il y a des voix qui appellent à une Constituante par la mobilisation des « citoyens » pour mettre fin à la Constitution de 1962. J’émets trois réserves. La première consiste à dire que le problème algérien n’est pas d’ordre constitutionnel, mais de changement de système c’est-à-dire changement des acteurs, modification de l’idéologie du pouvoir et mécanismes d’exercice du pouvoir. La seconde consiste à dire que dans les conditions actuelles, toute « constituante » irait à la déflagration parce que le climat est passionnel et parce que les éradicateurs et les revanchards de tous bords sont aux aguets. Il faut attendre qu’il y ait des présidentielles et des législatives puis passer à une nouvelle Constitution. Nous pouvons après juillet faire un référendum pour réviser la Constitution sans toucher aux sensibilités qui sont la langue et la religion. La troisième c’est la réalité historique. Il est vrai que sur le plan philosophique, la Constitution est un contrat, c’est le contrat suprême, entre gens libres et unis par le même destin. Prenons les choses dans l’ordre logique : la liberté est un dénominateur idéologique. Les clivages idéologiques sont trop dispersés et trop conflictuels en l’instant présent pour fédérer d’une manière solide et pérenne. Enfin ceux qui réclament cette solution connaissent la dialectique et savent donc que la Constituante n’a jamais été une affaire populaire, mais une affaire de rapport des forces où le dominant (politique, économique et culturel) impose ses règles. Nous sommes dans un système fragile où les rapports de force ne sont pas encore suffisamment élaborés. Ils ne peuvent l’être dans une économie administrée, une rente, une information au service de l’argent et de la manipulation, et des confusions de classes sociales.
3-2 La démocratie. Dans une monarchie moderne ou dans une République, la démocratie est le moyen de donner une représentativité aux classes sociales et aux élites politiques pour défendre le social, le bien public. Partout en Occident, la démocratie est en panne, en échec, ayant montré ses limites. Les gens demandent de la démocratie participative, d’autres de la démocratie directe, de la démocratie en matière d’accès au savoir, à la technologie, au pouvoir, à l’économique et à l’informationnel. Partout il y a des chantiers de réflexion et d’émergence de nouvelles élites voire de nouvelles classes. En tous les cas, le show médiatique n’est pas garant de la démocratie.
Le paradoxe c’est que chez nous rien n’invite le peuple qui manifeste à débattre et à s’organiser pour construire sa libération, son progrès et l’exercice des responsabilités. Pour cela, il faut aller à des revendications de classes sociales et d’élites politiques. Nous sommes pris dans l’engrenage des terrains de foot où le festif, les slogans, le spectacle et les supporters l’emportent sur la réflexion et l’organisation.
Encore une fois il ne s’agit pas de contester la liberté du peuple ou de cautionner l’ANP, mais de dire que la « Salmiya » doit être un débat d’idées et une pépinière d’organisation sinon nous risquons d’aller à l’impasse et la dissipation des énergies puis se faire confisquer la « révolution ». Il n’appartient ni à moi ni à autrui de décider du projet ou de la forme organique que le Peuple voudra demain ou dans deux ans mettre en œuvre. C’est sa responsabilité, il doit l’assumer. Pour ma part, je pense que la solution la plus légale, la plus rapide et la moins périlleuse consiste à aller aux élections en rang serré et en exerçant le contrôle populaire sur les urnes. On pourrait exiger des cadres du FLN et du RND de ne pas être candidat, mais non seulement on introduit un brin de discrimination sur des gens qui ne sont pas destitués de leurs droits civiques, mais on ne règle pas la question de la remise en selle du système. La seule solution est la déclaration du patrimoine dans la nouvelle loi électorale et la vigilance du corps électoral.
Dans les Républiques et les Démocraties c’est la loi qui tranche, lorsqu’elle ne parvient pas à le faire alors le recours aux urnes est l’arbitrage ultime. Lorsque la crise devient trop grave ou trop compliqué alors il y a émergence d’un homme charismatique, compétent, intègre vers qui se tournent les regards. Personne ne se profile à l’horizon, car le système a discrédité tout le monde. Les malins ont su se jouer des naïfs et des crédules pour leur faire adopter un slogan simple qui ne nécessite ni responsabilité, ni débat, ni organisation, ni solution :
Tnahaw ga3 « dégager tous »
En 1962 on avait droit à « sept ans ça suffit »
Le problème n’est pas dans le peuple algérien, mais dans les capacités d’hypocrisie et d’opportunisme de ses élites qui leur permettent non seulement de parasiter, mais de phagocyter tout corps vivant trop emporté par l’affectif et la muleta des toréadors.
Nous sommes en train de rendre impossible le recours aux urnes et la difficulté à accepter dans l’avenir le verdict des urnes. Il est vrai que nous avons perdu confiance et que nous avons été trahis, mais y-a-t-il une autre solution pour instaurer une République sociale, populaire et démocratique autre que l’exercice de la politique ? Nous avons souhaité autre chose pour notre pays, mais la réalité est toujours la plus forte :
مَا كُلُّ مَا يَتَمَنَّى الْمَرْءُ يُدْركُهُ
تَجْري الرّيَاحٌ بمَا لَا تَشْتَهي السَّفَنُ
Quoi que l’on veuille réaliser Le vent ne souffle pas au gré des voiliers
Omar MAZRI pour Diaspora DZ