Nous sommes à l’acte 6 scène 2. Nous avons passé en revue les acteurs, le texte, les éclairages, voyons le chœur et sa mélodie avant l’épilogue heureux ou tragique.
L’Algérie ressemble à un bateau battu par les flots sans capitaine à bord. De loin, des spectateurs impuissants, sans conscience du danger refusent d’appeler au secours. A bord, des insensés veulent le faire couler croyant ainsi trouver leur salut, alors que d’autres veulent lui faire prendre des directions selon leurs caprices ou selon leurs intérêts mesquins sans cap, ni boussole ni gouvernail. L’irresponsabilité, le délire cathartique, le désir de revanche et les auxiliaires de la lutte idéologique tentent de détourner le peu de sensés qui restent encore lucide et cacher le sort funeste réservé à l’Algérie. Notre souffrance d’opprimés ne doit pas nous faire oublier les réalités : L’ANP est héritière historique de l’ALN ; elle a répondu présent sur le terrain des opérations contre le sionisme lors de la guerre de 1973 ; elle est, avec l’armée syrienne, la seule armée arabe à pouvoir résister à l’Empire. Il y a beaucoup de contentieux géopolitiques que l’Empire et le sionisme aimeraient régler une fois pour toutes, leur mémoire est grande, nous avons la mémoire courte. Nous n’avons pas le sens de l’État.
Nous sommes dans la parabole prophétique :
» مَثَلُ القَائِمِ عَلَى حُدُودِ اللَّهِ وَالوَاقِعِ فِيهَا، كَمَثَلِ قَوْمٍ اسْتَهَمُوا عَلَى سَفِينَةٍ، فَأَصَابَ بَعْضُهُمْ أَعْلاَهَا وَبَعْضُهُمْ أَسْفَلَهَا، فَكَانَ الَّذِينَ فِي أَسْفَلِهَا إِذَا اسْتَقَوْا مِنَ المَاءِ مَرُّوا عَلَى مَنْ فَوْقَهُمْ، فَقَالُوا: لَوْ أَنَّا خَرَقْنَا فِي نَصِيبِنَا خَرْقًا وَلَمْ نُؤْذِ مَنْ فَوْقَنَا، فَإِنْ يَتْرُكُوهُمْ وَمَا أَرَادُوا هَلَكُوا جَمِيعًا، وَإِنْ أَخَذُوا عَلَى أَيْدِيهِمْ نَجَوْا، وَنَجَوْا جَمِيعًا «
L’image de celui qui ne reconnaît pas les interdits de Dieu et cherche à les abolir et l’image de celui qui les transgresse est celle d’un groupe de gens qui ont tiré au sort pour donner à chacun d’eux sa place dans un bateau. A certains revint le pont et à d’autres la cale. Ceux qui logeaient dans la cale étaient obligés de passer par le pont pour puiser l’eau (de la mer ou de la rivière). Ils dirent : « Si nous faisions un trou dans la partie qui nous revient, nous cesserons de déranger ceux qui sont au-dessus de nous ». S’ils les laissaient réaliser ce désir, c’est leur perte à tous ; et s’ils les en empêchent, c’est leur salut à eux et à tous ».
Ce hadith au sens propre et au sens figuré ne permet aucune mésinterprétation. Pris dans sa dimension politique, idéologique ou sociale, il ne porte pas jugement sur les droits des uns ou les privilèges des autres ou sur les rapports de classes ou de domination. Il dicte la conduite du salut publique : Ne pas laisser les insensés détruire le socle commun.
Il met la conscience musulmane et la conscience humaine devant sa responsabilité ultime : Ne pas transgresser le sacré, le plus grand sacré est la vie humaine. Toute solution qui évite l’effusion de sang nous la soutenons. Dans les années 90, j’ai exposé ma propre vie et mis en péril la sécurité de ma famille pour contribuer à la fin de l’effusion de sang. Je n’appartenais à aucun parti et à aucun clan, mais j’avais le sens du devoir. Mes mains sont propres ; mon argent est peu, mais propre ; ma conscience est vive et propre. Je peux dire ce que je veux sans rien à devoir ni à attendre. Ce que je dis est sensé et mesuré.
En Algérie, il y a un mouvement populaire qui se manifeste d’une manière « révolutionnaire », mais la solution n’est pas le nihilisme politique ou la table rase. Un moment où un autre, il faut négocier le départ d’une manière pacifique et responsable. On ne construit pas sur des ruines et des revanches et encore moins sur des agendas étrangers : Il y a trois actes à accomplir.
Le premier acte responsable est l’affirmation de la légalité, c’est-à-dire le respect de la Constitution, même si celle-ci a un aspect illégitime. L’Algérie de 1962 à ce jour est illégitime, nous ne sommes pas à une illégitimité près. Ne compliquons pas les problèmes par l’illégalité et l’absence totale de l’Etat.
Le second acte responsable est le débat politique et l’organisation du peuple en assemblées populaires pour débattre et se fédérer comme des forces politiques plurielles, indépendantes et constituées. Lénine n’a pas fait de révolution à partir de zéro et avec rien : il avait 500 000 militants entrainés, organisés et surtout adhérents à la même idéologie révolutionnaire léniniste et marxiste. En Algérie, la majorité des slogans vont de l’extrême droite à l’extrême gauche, de l’islamisme au laïcisme, du nationalisme le plus chauvin au fédéralisme le plus sectaire. Sans guidance et sans logique, l’Algérie va être déchirée comme une vieille couverture que chaque mouquère tire vers soi. Le proxénète regarde de loin et attise les cupidités et les désirs des clients tout en imposant sa loi sur les malheureux prostitués que son racket a mis dans le besoin de se vendre.
Le troisième acte responsable est le retour au processus électoral dans les plus brefs délais. Avec des garanties et une commission électorale indépendante, nous pouvons élire un Président dont la tâche principale est de réaliser ce que les Pagsistes algériens appellent la transition démocratique. Mais ne nous trompons pas : Le peuple algérien est musulman. Ne sous-estimons pas la lutte idéologique de ceux qui vont chercher les poux dans nos têtes, ceux-là vont trouver des crabes et des pièges à rats. Ils vont tenter de montrer que le processus qui va se mettre en place est vicié sur le plan juridique, que Gaïd Salah doit dégager, que tout le monde doit dégager.
Nous allons appeler les chats par leurs noms : Ils savent que le peuple n’a pas d’appareils pour conduire la « révolution », mais ils savent surtout qu’ils n’emporteront jamais une élection démocratique. Comme en 1992, ils vont avouer qu’ils se sont trompés de peuple et pour atteindre leurs vœux les plus insensés soit ils changent le peuple, soit ils brulent l’Algérie.
Ils ne connaissent ni la sociologie de l’Algérie, ni la psychologie des Algériens, ni la nature du pouvoir réel, ni la place de l’ANP dans l’organisation de l’Etat algérien. Comme les égarés de Moïse, ils beuglent avec le veau d’or.
Je n’ai pas de problème avec les Djounouds, les Sous-officiers et les Officiers de l’Armée algérienne ni avec ceux d’une autre armée, j’ai donc le devoir d’exprimer mon refus de l’anarchie, de la manipulation et de la loi du marché sous domination impérialo-sioniste. J’ai le devoir de rappeler que la révolution « colorée » de janvier 1992 contre la volonté populaire a été un échec, un gaspillage de temps, une hérésie. Ce que le système corrompu et incapables et ses élites avouées ou oppositionnelles n’ont pas pu réaliser avec la rente et l’aide étrangère, le délire festif ne peut le faire. Ce délire que vous voulez instrumentaliser a exprimé sa voix la plus sage :
1 – Système dégage. Mais vous faites partie de ce système ; je vous défie de prouver le contraire ! Les experts en amalgame nous disent faut à gauche ou à droite c’est-à-dire dans les extrêmes comme si le peuple algérien ne pouvait un jour se réclamer du juste milieu, de la tolérance et de l’intelligence. On ne réclame pas son droit de propriété son devoir de souveraineté comme le chat du dicton algérien « Foulti wa illa anboul fil kanoune : Donnez-moi ma fève sinon je pisse sur le chaudron » ou le conseil de la souris algérienne au propriétaire de la maison : « bi’â al Qat wa achri as chhama : vends le chat et achète de la graisse ». On ne construit pas sur des ruines, on n’édifie pas une nation sur le faux, la haine et l’effectif… Toutes nos mentalités sont à désintoxiquer.
Toutes les armées du monde lorsqu’elles livrent bataille et triomphent sur l’ennemi, cherchent la paix pour préserver les vies humaines et identifient un pouvoir civil pour négocier le retrait tout en faisant des gains politiques et économiques au profit de leurs nations. Il n’y a que les mercenaires ou l’armée américaine qui sapent toutes les infrastructures et détruisent l’Etat et l’armée des vaincus (Irak par exemple et Syrie). Il y a quelques algériens insensés, ignorants ou télescopés par les experts de la lutte médiatique.
Les insensés sont déjà dans un délire plus absurde : Passer les gens au fil de l’épée sans droit à la défense et sans verdict des juges. Les uns veulent éradiquer les francophones, les autres les islamistes. Chacun est aux prises avec ses démons et ses ignorances qui lui dictent la parole annonçant l’acte criminel. Chacun est dans la pensée unique et le totalitarisme. Comme c’est triste, honteux et vilain.
2 – Armée, peuple, Khawa Khawa. Mais vous refusez la fraternisation socle de l’Algérianité, car votre imaginaire est remplie de haine et de culture non algérienne. Je m’affiche comme frère, fils et père d’Algériens civils ou militaires. Le Général Gaïd Salah n’agit plus en serviteur zélé du clan Bouteflika comme le Général Khaled Nezzar auprès des éradicateurs et des Janvieristes. Les données ont changé. Les chefs opérationnels ne veulent plus diriger leurs armes contre le peuple algérien. C’est le début de la fin de partie. L’épouvantail islamiste ne fait plus peur.
Ces clarifications apportées, revenons au Hadith parabolique de la Safina. Il nous dit en substance que nous devons dire non à l’injustice quelle que soit sa forme et ses circonstances. Pousser un pays à l’effondrement et un peuple à l’effusion de sang c’est plus qu’une injustice, c’est une trahison. Je préfère me tromper et soutenir une institution légale, même si je n’approuve pas toutes ses décisions et tous ses chefs, que me ranger vers la voie du sinistre, la voix de la convergence des fausses voies, celle de l’ostentation et de l’ostensible qui fait de la surenchère politico-idéologique.
Le Hadith de la Safina nous dit qu’en dernière instance il faut refuser la nuisance. Sur cette base, la pensée musulmane et non musulmane a construit la rationalité de la gouvernance et de la militance : Donner la priorité à l’utile sur le nuisible et en cas de coexistence entre deux nuisances tolérer jusqu’à nouvel ordre celle qui a le moins d’intensité, le moins d’étendue géographique et le moins de durée dans le temps. Nos analyses ne se fondent pas sur l’affectif, mais sur l’évaluation d’une situation à un moment donné. Lorsque les paramètres changent nous adaptons notre analyse sans toucher aux principes fondamentaux de notre foi et de nos convictions. L’hypocrite et l’opportuniste changent leurs principes et leurs discours selon les contingences.
Mon éthique me commande d’approuver la bonne décision et de désapprouver la mauvaise dans la limite de mes connaissances et de mon raisonnement. Sans sectarisme et sans affectif, j’essaye de voir les mobiles et les conséquences d’une action puis je me détermine. Je peux me tromper. Mais je me dois de choisir mon camp lorsqu’il s’agit de la confrontation entre le vrai et le faux, le réel et l’illusoire. Souvent on ne voit que ce que l’on croit, c’est-à-dire on construit une représentation de la réalité non telle qu’elle est, mais telle qu’on voudrait qu’elle soit. On construit ainsi des syllogismes fallacieux et on voudrait que les autres s’y conforment au nom de slogans racoleurs.
Le Coran est la référence du peuple algérien :
{Tiens-toi à la mansuétude, ordonne la bonne conduite et écarte-toi des insensés.} 7-199
L’Algérianité nous interroge sur notre devoir de « patriote » : faire couler le bateau ou le sauver. Dans le premier cas il faut dire pourquoi et avec qui ; dans le second cas comment et avec qui ? Nous attendons le dernier mot du peuple algérien ! Est-ce qu’on va encore le caporaliser et le mettre sous tutelle ? Je ne le pense pas ! Je pense le contraire : c’est son élite qui est infantile et débile !
Où se trouve le vice de forme ?
L’article 102 de la Constitution est la voie du salut. Jusqu’à preuve du contraire nous défendrons cette voie même si elle nous vaut des injures, des menaces. Nous avons refusé l’alignement idéologique, progressiste ou islamiste, sur l’agression de la Libye et de la Syrie par l’OTAN. Nous avions raison. Nous aurons raison inchaallah, une fois de plus sur l’Algérie n’en déplaise aux agendas des uns et des autres.
Omar MAZRI