Au moment où les « politiciens épiciers » cherchent la conquête du pouvoir pour satisfaire leurs appétits mondains, imposer leur revanche ou réaliser des agendas étrangers, nous posons quelques questions sur ce qui fait notre identité : L’Algérianité.
Tant que nous n’avons pas répondu avec méthode, sans affectif et sans instrumentalisation des sensibilités nationales, au contenu et au sens de l’Algérianité, il serait dangereux de vouloir réviser la Constitution ou de mettre en place une Constituante qui viendrait inéluctablement se trouver dans une impasse conceptuelle et dans un complexe de contradictions idéologiques, sociales et culturelles.
Les arrangements d’appareils ne sont pas outillés intellectuellement (sociologie, histoire anthropologie et philosophie) et ne sont pas neutre sur le plan partisan et idéologique pour aborder une nouvelle Constitution.
Nous pouvons pour le moment expurger la Constitution actuelle de ce qui s’oppose à la séparation des pouvoirs et de ce qui donne un caractère autocratique au Président de la République. La Constitution véritable devra attendre la relance des représentativités populaires, l’apaisement du climat social et l’exercice du peuple de ses responsabilités politiques et économiques.
Qu’est-ce que l’Algérianité sans démocratie et sans État de droit ?
Pour être réaliste et efficace, puisque nous allons certainement vers un vide constitutionnel, le départ définitif de Bouteflika et l’échec de tous les plans « B », l’armée algérienne doit intervenir sans coup d’État et annoncer une feuille de route facile à mettre en place et à contrôler :
- Confier toutes les administrations (ministères, wilaya, communes) aux Secrétaires Généraux ou aux Directeurs centraux les plus compétents et le plus probes pour la gestion courante. Engager le processus du retour à la légalité et à la légitimité :
- Mettre en place une commission électorale indépendante (tirage au sort au niveau local des volontaires inscrits sur une liste).
- Se porter garant
- Organiser un référendum populaire au plus tard le 05 juillet 2019
- Soit faire élire un conseil des sages qui préside à l’élection par la voie des urnes d’un Président de la République.
- Soit faire élire un président de la République qui met en place, avant le premier novembre 2019, le processus électoral des Assemblées communales, Assemblées de Wilaya et Assemblées nationales. Dans ce cas, le président devrait relancer les élections présidentielles et remettre en jeu son mandat dans moins d’un an pour parachever la construction démocratique et républicaine. Ce référendum peut faire élire en parallèle un Haut Conseil pour assister le Président élu, amender la Constitution provisoire, faire office de mini Assemblée Nationale pour adopter les lois et valider l’équipe gouvernementale du Président transitoire.
La transition, si elle s’impose doit donc :
- Revêtir un caractère démocratique et républicain par la voie des Urnes.
- Donner un cadre consistant à l’expression populaire et au débats d’idées et de projets par les Assemblées citoyennes. La justice doit valider et protéger sur le plan du droit les assemblées populaires. Celles-ci sont le socle de la représentativité future qui sera instaurée par le vote.
- Les forces armées, les forces sécuritaires et les forces de Police mettent en place un conseil de sécurité qui apporte les garanties du respect des référendums et qui s’engage à protéger le peuple délibérant et débattant de l’avenir de son pays.
Ce serait alors un processus historique pour faire émerger la seconde République d’une manière à la fois révolutionnaire et évolutionnaire.
L’urgence est de bloquer les courants nihilistes et anarchistes ainsi que les pratiques rentières qui ferment la porte au débat et à la responsabilisation. Il faut bloquer la nocivité des ingrats qui ont construit des rentes colossales dans les antichambres du système et dans les couloirs des services de sécurité et qui se trouvent aujourd’hui les adversaires les plus acharnés de l’État algérien sachant pertinemment qu’ils ne pourront jamais disposer de toute la rente ni d’exercer le pouvoir : l’armée et le peuple algérien ne leur donneront jamais les clés du pouvoir comme la France coloniale l’a donné aux militaires des frontières et aux faux militants du 19 mars 1962.
Qu’est-ce que l’Algérianité sans son histoire de résistance et de souffrances ?
Restaurer la personnalité algérienne, c’est actualiser ses luttes contre l’oppression et la colonisation en nous focalisant sur les moyens de résistance morale, politique, diplomatique, économique, culturelle, scientifique, technologique et militaire pour qu’aucun envahisseur ne pénètre dans notre espace vital ou qu’un ennemi ne sape nos fondements ni ne fragilise notre unité et notre cohésion sociale.
Restaurer la personnalité algérienne résistante et souffrante, c’est interdire aux gouvernants par voie constitutionnelle la répression populaire. Le ministère de l’Intérieur ne doit pas dépasser sa mission de maintien de l’ordre public. La justice ne doit pas devenir une machine de maintien de l’ordre, mais rester dans sa vocation de rendre justice.
Les Algériens bafoués, déni de droits, doivent voir leurs droits restaurés, les victimes de l’injustice indemnisées, la mémoire des innocents réhabilitée.
Qu’est-ce que l’Algérianité dans la confusion et l’incompétence
Comment restaurer la personnalité algérienne dans une société en ébullition, avec une école sinistrée, un analphabétisme trilingue, une mosquée hors sujet, une culture délabrée, et un État effondré ?
Il faut d’abord répondre aux aspirations légitimes des gens qui ne veulent plus de la Hogra et du Dholm, leur donner de l’espoir, et les remettre au travail. Le seul processus est démocratique si bien entendu on accepte que la démocratie ne signifie pas l’alignement sur l’expérience française ou américaine, mais inventer une nouvelle forme d’expression populaire qui libère l’idée imprimée dans le subconscient de l’Algérien et la laisser s’imprimer et s’exprimer dans les lois, les règlements, l’urbanisation, l’économie…
Qu’est-ce que l’Algérianité avec une coexistence « non pacifique » du berbérisme, du salafisme et du frérisme ?
Qu’est-ce que l’Algérianité avec une langue berbère en signes latins et une langue arabe en signes arabes ? Un ensemble de populations ne peut être peuple qu’avec une unité linguistique, une unité territoriale et une unité de valeurs. Une nation peut être diverse sur le plan linguistique et disjointe sur le plan du territoire si elle agrège les peuples qui se considèrent comme ayant le même destin, le même patrimoine et les mêmes valeurs.
Qu’est-ce que l’Algérianité avec une guerre larvée entre arabophiles et francophiles ?
Qu’est-ce que l’Algérianité avec une arabisation ratée et une francophilie qui ne voit la modernité que dans le passé du monde occidental ?
Qu’est-ce que l’Algérianité avec une opposition entre les francisant (francisés) et les arabisants (arabisés) en termes de reconnaissance socio-politique. Les uns ont maitrise sur l’économie et les hautes fonctions, les autres sur le corps judiciaire et l’enseignement primaire et secondaire ? Les uns sont otages des éradicateurs, les autres sous influence des intégristes religieux, comment libérer tout le monde de l’emprise de l’ignorance et du sectarisme ?
Qu’est-ce que l’Algérianité avec une conception erronée de la Modernité et un galvaudage du 1er Novembre ?
Cheikh Abdelahamid Benbadis en disant à la France et aux Algériens partisans de l’Assimilation : nous sommes un peuple musulman et à l’arabité nous nous affilions, avait apporté une clarification conjoncturelle et lancé un slogan de lutte idéologique, mais la situation présente est plus complexe pour tolérer des généralités hors contexte ou des abstractions hors réalité. Il nous faut clarifier davantage le sens de l’arabité : s’agit-il d’une appartenance à une aire civilisationnelle, d’une ethnie, d’une langue, d’une culture, d’une référence au Coran ? Il nous faut clarifier davantage le sens de de l’islamité : L’islam est le Dine d’Allah, s’agit-il dont d’une éthique sociale, d’une référence idéologique, d’une foi, d’une interprétation du sens coranique et du message prophétique ?
Le salafisme, le maraboutisme et le frérisme ainsi que leurs opposants libéraux et progressistes peuvent-ils enfermer l’Algérie dans une doxa religieuse et sa contradiction idéologique ou laisser les Algériens se hisser à la vocation primordiale de l’Islam en sa qualité de spiritualité et en son sens de philosophie de libération et de civilisation qui est antinomique avec le laïcisme d’importation, le sectarisme, le partisanisme et la bigoterie. C’est une philosophie et une éthique qui ne peuvent tolérer ni l’État théocratique, ni l’État militaire, ni l’État bourgeois. Nous sommes appelés à un Ijtihad pour renouveler l’interprétation conceptuelle et la pratique sociale et culturelle. L’Empire et le sionisme collaborent et instrumentalisent les apparats de l’Islamité tant que le formalisme religieux ne met pas en péril leur hégémonie et leur cupidité avide et vorace.
L’appel du premier Novembre 1954 et la Charte de Tripoli répondaient à une finalité : Celle de constituer et de maintenir le front de libération contre le colonialisme. Chacun, islamiste, nationaliste, socialiste et libéral y trouvait son compte. Ce n’est pas suffisant pour édifier une Nation, d’autant plus que chacun revendique les fondamentaux de l’Algérie à sa manière en leur donnant la coloration idéologique qui lui convient et en construisant des rentes historiques, religieuses et culturelles.
Qu’est-ce que l’Algérianité sans les préalables démocratiques ?
Le préalable serait donc de créer les conditions sociales et politiques pour renouveler le pacte social ou d’en bâtir un autre. La Constitution n’est pas un document juridique, c’est un contrat pour le vivre ensemble afin de nous orienter tous vers la même finalité. C’est un contrat de libre adhésion formalisé politiquement et institutionnellement par une Assemblée constituante, un document, un référendum populaire, un respect par tous de cette Constitution y compris par ses opposants mis en minorité dans le vote.
C’est plus complexe et plus élaboré que de pseudos conseils de la révolution, haut conseil d’État, comité de salut publique ou commission nationale de transition et autres trouvailles pour refuser le verdict populaire et le débat national transparent.
Nous avons la conviction que la voie la plus efficace, la plus rapide et la plus sereine est de donner l’opportunité aux populations, aux étudiants, aux travailleurs, aux paysans, aux fonctionnaires, aux jeunes aux moins jeunes, aux Algériens résidant en Algérie et à la diaspora de débattre. Le cadre qui nous semble le plus pertinent est la constitution libre sans tutelle d’Assemblées populaires à l’échelon des quartiers, des douars, des dechras, des entités universitaires et des entités laborieuses. Nous n’avons ni mode d’emploi à proposer, ni recette.
C’est aux algériens d’inventer leur formes d’organisation comme nos ainés ont su le faire pour se libérer du joug colonial. C’est notre position de principe : Chacun devra assumer ses responsabilités, être libre, fonctionner dans un cadre démocratique et populaire sans tutelle. Les élites émergées au niveau local peuvent, selon les modalités pratiques et organisationnelles adoptées par les assemblées générales, proposer des schémas d’organisation à un niveau supérieur et des programmes de démocratisation politique et économique.
Il n’est pas nécessaire que les cadres organiques émergents soient des monopoles de centralisme bureaucratique, l’idéal est la diversité et le débat. C’est le chemin de l’apprentissage de la démocratie, la voie de l’édification de la République et le ferment de la vie politique plurielle sans exclusive ni exclusion. Le fédérateur commun est la défense de l’Algérie, son unité territoriale, sa souveraineté et sa défense contre la prédation étrangère.
C’est cette voie qui va faire émerger le potentiel de mutualisation des intelligences, des savoirs et des intérêts tant dans la vie sociale que politique et économique. La post modernité, c’est le capital intelligence de l’humain et l’intelligence sociale qui donnent efficacité à l’individu et une garantie au droit. C’est ainsi que se construit une civilisation qui fait du devoir son moteur pour dégager le surplus nécessaire à la solidarité et à la justice sociales.
L’aspiration civilisationnelle de l’Algérie doit émerger de ces débats, sans complexe, ni revanche, ni instrumentalisation. Nous n’avons pas le droit de fixer le cadre, les axes et les thèmes de ce débat. Nous exprimons ici nos interrogations à la lumière de notre expérience et de ce qui mine la stabilité de l’Algérie et exacerbe ses sensibilités faussant ainsi la perception de l’identité et des devoirs.
Il appartient aux Algériens, par la pratique et la réflexion née de la pratique, de définir un modèle de démocratie algérienne, c’est-à-dire un contenu, un mode opératoire et des finalités.
Qu’est-ce que l’Algérianité avec l’Islam religion d’État ?
L’Islam est-il la religion des Algériens libres dans leur foi, leur conscience et leur confession ou la religion des appareils de l’État inquisiteur et tuteur idéologique ? Dans le premier cas nous n’avons plus besoin de Ministère du culte, mais de mosquées libres, de hauts dignitaires religieux élus par les croyants et rendant compte à l’État sur le plan judiciaire et rendant compte aux communautés de foi.
La religion doit être totalement séparée du politique et de l’État dont la vocation n’est pas de sermonner ou d’instrumentaliser la religion, mais de répondre aux exigences sociales, politiques et économiques de la société.
L’Algérie dispose d’une rente considérable : les biens Waqf et la Zakat. Ou bien l’État les prend dans le cadre de la fiscalité, ou bien dans le cadre d’une direction générale du Ministère de l’Economie qui collecte et qui redistribue. L’idéal est de revenir aux fondamentaux de la civilisation musulmane : les fondations pieuses. Les musulmans gèrent eux-mêmes leurs devoirs envers les pauvres et les indigents. Ces fondations ne vont pas laisser l’argent et les biens se disperser et être sans efficacité, mais orientés vers la charité et la bienfaisance sous le contrôle de conseils d’administration et surtout avec une démarche d’investissement et de recapitalisation par le retour d’investissement.
Les Algériens sont musulmans, il leur manque la liberté et l’efficacité sociale.
Lorsqu’on libère l’État de ce qui ne lui appartient on le revalorise dans ses fonctions. Une de ses fonctions est l’éducation nationale, l’enseignement supérieur et la recherche. Il est inadmissible que nos mosquées demeurent des lieux à faible rendement de leur espace et de leur volume. Ce n’est pas être musulman que de voir des bâtisses immenses, vides ou fermées sans que les espaces libres ne soient orientés vers les œuvres sociales, l’alphabétisation et le charitable.
Ce n’est pas être efficaces que de déboiter l’enseignement religieux des écoles et universités sociales, politiques, économiques et juridiques. Notre enseignement public devrait être un enseignement de qualité, ouvert à toutes les disciplines et les spécialités et surtout respecter le choix et les vocations des étudiants. L’intelligence et l’efficacité ne peuvent tolérer une école à deux vitesses, une dichotomie entre le profane et le religieux.
C’est dans ce cadre qu’on arrête le bourrage des crânes et le vomi des livres pour produire de la pensée et du savoir libéré des siècles de la décadence et du Fiqh figé du 13ème siècle ou importé d’Arabie et D’Égypte.
Ce n’est pas un débat accessoire, il peut sembler subversif, mais il est « libertarien » sur le plan politique et culturel, structurant sur le plan social, et civilisateur sur le plan de la Nation. C’est ainsi que nous serons en conformité totale avec les aspirations de l’ensemble des populations algériennes et avec l’énoncé et les principes du Coran. Il ne s’agit pas d’une laïcisation de l’Algérie ni d’une imitation de la République française avec qui nous voulons rompre tout alignement, mais d’un retour aux sources, à la raison et à la notion d’État.
Bien entendu chacun est libre d’utiliser ses propres référents pour débattre, argumenter. Le peuple est le seul compétent à trancher par son regard social, son éducation et ses principes. La loi et les règlements ne peuvent être en rupture avec l’idéal de la majorité. La Justice sanctionnera les atteintes à la pudeur et les blasphèmes publics.
L’essentiel n’est pas dans le manquement à la morale par quelques délinquants ou par quelques provocateurs irresponsables, mais dans la responsabilité sociale, politique et éthique des fondamentaux de l’Islam :
- Le refus des Totems, des Fétiches, des Idoles et des Superstitions
- Le refus de l’oppression
- Le refus des outranciers et des excès (politiques, culturels, religieux, économiques et idéologiques)
- Le devoir du bon conseil et l’exercice de la responsabilité
- La foi monothéiste qui est une affaire de conscience et non d’apparats religieux, de socio-code ou de géocodes.
- Le devoir de la concertation et de participation du peuple aux affaires de la cité
- Le devoir de justice, d’équité et de témoignage. Témoigner fidèlement de son passé, de son présent et de la construction de son avenir sans peur ni complexe.
- L’empathie universelle pour toute la création divine
- L’anagogie, l’élan mystico temporel qui transcende les conjonctures, les égoïsmes, les sectarismes et les partisanismes.
- La solidarité et la Justice sociale
- Le bien agir
Tous les Algériens, dans les registres religieux ou profanes, dans les consciences croyantes, athées ou agnostiques, se retrouvent majoritairement dans ces fondamentaux que les uns ignorent et que d’autres travestissent.
Ce ne sont là que de grandes lignes à approfondir par la réflexion politique et culturelle, la pratique sociale et institutionnelle.
L’Algérianité à l’épreuve de la civilisation
La force civilisationnelle de l’Islam est dans sa capacité linguistique et sémantique à fédérer des peuples différents. Chaque peuple converti à l’Islam (comme les Perses et les Turcs) ou non converti comme les Juifs et les Chrétiens d’Andalousie et de Palestine a conservé ses singularités ethniques et culturelles. La civilisation islamique n’était une recette de cuisine ou une imposition religieuse, mais un mode de gouvernance qui accordait à chacun le droit à la différence jusqu’à laisser à chaque communauté sa juridiction et en cas de probation recourir aux tribunaux régis par le droit musulman.
La civilisation islamique a été fondée et renouvelée sur la base de l’interaction culturelle entre les peuples avec comme modèle la cité vertueuse de Médine et sa charte de citoyenneté. Le Dhimmi n’avait pas le sens péjoratif que les Orientalistes et les intégristes lui donnent aujourd’hui, mais signifiait celui qui était lié aux musulmans par l’Aman : la confiance et la protection qui donnent la liberté de conscience et le libre choix judiciaire en contrepartie du devoir de ne pas trahir et de s’acquitter de l’impôt. Le converti s’acquittait de la Zakat et accomplissait les rites musulmans. Sinon sous la même langue, les us et coutumes se partageaient et se modernisaient. Les Berbères, les turcs, les Perses, les Hindous, les Mongols et les Chinois finissaient par former une nation où les ethnies partageaient le savoir, la culture, le destin et affrontaient l’envahisseur.
Il ne s’agit pas de revenir au passé, mais de trouver le dénominateur commun. Les Chrétiens et les Musulmans de Palestine se considèrent tous Arabes, partagent le même territoire et luttent ensemble contre l’occupant sioniste. Il en est de même des Juifs et des Musulmans en Iran. La seule césure est celle que pratique le colonialisme pour saper ce qui peut faire grammaire de la civilisation : la langue, le territoire, la mentalité collective et l’économie.
Les grandes civilisations, égyptiennes, romaines et musulmanes, ont, dans les rapports entre gouvernants et gouvernés, dominants et dominés, ou dans les rivalités du pouvoir central avec ses ennemis ou avec ses périphéries un facteur décisif : l’utilité à l’humanité ou du moins aux communautés administrées par l’Empire. D’inspiration monothéiste ou polythéiste, la civilisation qui va prospérer et durer est son utilité sociale c’est-à-dire sa compétence à apporter le progrès et à libérer les forces productives permettant à chaque couche sociale et à chaque ethnie de bénéficier de la paix, de l’ordre et de la prospérité. Une des lois de l’évolution humaine est l’acte civilisateur par l’utilité.
Quel est donc le cadre civilisé et la voie civilisatrice pour les Algériens. Quelles sont les forces libératrices et les énergies civilisatrices pour traduire l’Algérianité en cohésion sociale, en synergie de devoirs et en utilité efficace pour les Algériens et leur environnement géographique et historique (Maghreb, Méditerranée, Afrique du Nord, Afrique subsaharienne …).
Qu’est-ce que l’Algérianité et avec quelle langue nationale ?
Il faut un débat contradictoire populaire d’une part et une participation centrale et massive des philosophes, des anthropologues, des sociologues, des hommes de lettres, des historiens, des académiciens pour répondre avec justesse aux contradictions actuelles :
Quel rapport à l’Arabe, au Français, aux dialectes. Peut-on les mettre en complémentarité et comment ? Doit-on les laisser en conflit ? Le problème n’est pas d’ordre affectif, mais historique et géographique : quels sont les impératifs du territoire et de son environnement ? Quelles sont les exigences de la grammaire des civilisations ?
Peut-on inventer une nouvelle langue, avec quels caractères, sur quel lexique, sur quelle grammaire et surtout pour quel projet et avec quelle adhésion populaire ? On ne peut discuter d’un signe linguistique alors que l’énonciation est occultée : il faut un contexte, un récit global et un projet de lecture.
La lecture n’est pas juste une affaire d’alphabétisation, mais une technologie intellectuelle, c’est-à-dire une moisson de sens (legere en latin) sur la base de ce qui a été semé en sens (ecrirare en latin) sur un territoire (page ou pagus en latin). En Arabe إقراء Iqra signifie extraire du sens pour comprendre, mettre en comparaison les significations pour faire un choix judicieux et responsable, transmettre la vérité conforme à la réalité. Quelle est notre projet de narration sur nous-mêmes, quel est notre projet de lecture du monde ?
Une langue de civilisation doit disposer non seulement d’un vaste lexique et d’une grammaire étoffée, mais de la compétence à manier et à produire des concepts. La langue n’est pas une sensiblerie sentimentale, mais les symboles d’une pensée qui imprime le sens dans les livres et les monuments pour les générations passées et à venir.
Pourquoi le plus grand érudit juif Maïmonide écrivait-il en Arabe alors qu’il disposait de l’hébreux ? Pourquoi les grands noms de la pensée mondiale tels que Al Fârâbî (Farabius), Ibn Sina (Avicenne) et Ibn Roshd (Averroès) écrivaient en Arabe alors qu’ils étaient d’origine perse et que leurs principaux écrits étaient les philosophes grecs Platon et Aristote ? Pourquoi leurs noms étaient latinisés ? Pourquoi les Romains latins étaient-ils obligés de s’appuyer sur les hellénisant en matière de philosophie et d’arts ? Il y a un rayonnement civilisationnel qui s’exerce. Ce rayonnement est à la fois permis par une langue et il est le produit de la vie artistique, philosophique, scientifique, économique et politique qui remodèle une langue, la faisant triompher sur les autres ou la faisant disparaître de la surface de la terre. La langue est le terrain de confrontation par excellence des civilisations et des idéologies.
La langue arabe est la langue du Coran !
Les linguistes et l’UNESCO estiment que sur les 5000 ans derniers, 30 000 langues sont nées et ont disparues ; et que dans notre siècle près de 70 % des langues parlées actuelles disparaîtront (3000 à 4000 langues) Des langues écrites comme l’Anglais risquent de devenir des langues mortes. Parmi les explications scientifiques, il y a les mouvements démographiques, les guerres, l’économie, mais surtout le bilinguisme social qui appauvrit les langues et l’absence de production (littérature, philosophie, technologie et science).
L’expression coranique لسان عربي Lissane arabi, remise dans son contexte, ne désigne pas seulement le parler arabe, c’est-à-dire l’ensemble signes linguistiques, vocaux, graphiques des Arabes, mais aussi le verbe juste, correct et signifiant. Nous devons dépasser les clivages langagiers pour poser la question de fond sur la communication sociale et pédagogique, c’est-à-dire l’efficacité de la pensée et la justesse de l’information et de l’échange communicationnel.
Au-delà de nos sensibleries, quelle est la langue par laquelle on va réaliser nos desseins ? Pour y répondre, il faut d’abord savoir de quels dessins s’agit-il et de quel devenir ?
Quelle Algérianité et avec quelles institutions ?
Nous pouvons pousser l’analyse sur d’autres aspects qui ne pas centraux dans la problématique de l’Algérianité, mais qui sont en relation avec l’efficacité et la symbolique de l’État :
Faut-il mettre le FLN au musée de l’histoire, le déclarer propriété du peuple Algérien et protéger par l’ONDPI son sigle ?
Faut-il dissoudre le Ministère des Anciens Moujahiddines et faire une double rupture symbolique. Supprimer le titre « Anciens » et sa connotation péjorative. Supprimer l’appareil puisque tous les Algériens sont libérateurs, mais le conserver en principe du droit et de la reconnaissance de la nation. Ainsi créer une Direction des « Moujahiddines » ou une caisse de sécurité sociale et des pensions des survivants et leurs ayant-droits au MDN et ainsi refaire la liaison entre l’ALN et l’ANP. Plus tard nous pouvons aller encore plus loin en adoptant un seul régime de retraite et de sécurité sociale pour tous les Algériens avec des dispositions particulières pour les catégories professionnelles et sociales pour plus de transparence et de justice sociale.
On peut dire la même chose pour la Culture et le Sport : supprimer les rentes et les appareils et confier les missions à ceux qui ont la vocation représentative et productrice : les auteurs, les hommes de lettres et les sportifs à travers leurs organisations corporatistes.
Nous pouvons aller plus loin en pensée politique et sociale : proposer la suppression du Ministère de la Justice et s’inspirer de nos traditions ancestrales où la Justice était rendue d’une manière publique, juste et équitable. Nous pouvons ne pas revenir au Cadi, mais donner à la séparation des pouvoirs et à l’indépendance de la justice un cachet plus opérationnel : Créer trois conseil supérieurs indépendants de l’exécutif. Un Haut Conseil de la magistrature qui prend en charge le pénal. Un Haut Conseil d’État qui prend en charge l’administratif et un Haut Conseil des Libertés publiques et individuelles qui prend en charge les droits de l’homme et surtout la défense (les avocats). Tous ces conseils seront élus. Tous les tribunaux d’exceptions et toutes les juridictions spéciales seront abolis. Aucune loi algérienne ne devrait contenir des mesures dérogatoires ou exceptionnelles.
L’Assemblée nationale et le Sénat mettront en place des Commissions de lois, d’arbitrage de justice et d’enquêtes pour arbitrer entre les trois conseils qui restent ainsi indépendants tout en étant soumis au contrôle populaire. Les journalistes spécialisés devront avoir le droit d’enquêter et d’accéder aux archives et aux délibérations lorsqu’il ne s’agit pas de secret défense.
L’État n’aurait le monopole que sur les attributs de souveraineté : la Monnaie, le Budget, la Planification, l’Education, l’enseignement supérieur, la santé publique, la sécurité et la défense nationale. Tout le reste devrait être déconcentré au niveau des Wilayas et des communes. Il y aurait plus de société civile et moins d’Etat donc plus de libertés et moins d’abus. C’est ainsi que devrait fonctionner une République post moderne, Un Etat social, une démocratie participative.
Toutes les activités et tous les organes doivent relever du droit pénal, administratif, commercial ou constitutionnel et chacun doit être justiciable devant une juridiction indépendante et compétente y compris l’État comme personne morale et publique. Toutes les activités non étatiques devraient relever des statuts de l’entreprise ou des associations quel que soit leur caractère cultuel, culturel, social ou professionnel.
L’Algérianité n’est pas un vœu pieux, mais une réponse réaliste tant sociale que philosophique à nos interrogations et à la finalité de notre devenir :
Les réponses à ces questions sont multiples, comme les histoires de vie de nos populations et la sociologie de nos histoires. Personne ne peut les évacuer et encore moins manipuler une Constitution alors que la conscience populaire n’est pas encore partie prenante du débat ni vraiment outillée pour voir toutes les perspectives, tous les périls.
Il y a d’autres interrogations que nous laisserons pour une autre fois. Tout ce que nous devons entreprendre nous devons le faire au nom d’un bien commun. Ce ne sont pas des arrangements d’appareils qui vont défendre le bien commun et le devenir des peuples, mais les initiatives qui prennent naissance librement et se substituent dans un cadre pacifique et innovant aux instances périmées.
La fragilité de la situation politique actuelle et la confusion idéologique risquent de continuer à ne produire que de l’inertie et à reproduire de la rente de situation. Les organes classiques et les fonctions traditionnelles doivent laisser la place au nouveau pour achever « l’interrègne » et enfin passer aux choses sérieuses : l’édification d’une civilisation et la concrétisation de l’espoir pour les nouvelles générations.
Les étapes de réalisation de l’Algérianité
Ce sont les pratiques démocratiques et l’exercice des responsabilités qui vont fixer la trajectoire, la vitesse, le rythme, l’efficacité et les étapes du processus d’algérianisation. Ce processus n’est pas essentiellement politique, mais culturel. La politique est un outil, le moteur est la société.
Il faut creuser davantage la question sur l’Algérianité et arrêter de fantasmer
Essayons donc de Travailler ensemble en qualité de gens responsables avec de grands défis portés et à visage découvert, c’est-à-dire sans masque cachant les intentions inavouées.
Ce qui se trame aujourd’hui par d’autres et ce qui peut être construit par nous dépassent notre finitude dans le temps et notre limite dans l’espace géographique. Situons les problèmes et les solutions dans leur cadre civilisateur. Le cadre idéologique est trop petit pour porter la civilisation. La pensée unique et l’unanimisme de façade ne peuvent éclairer un peuple pluriel et divers.
Il a été facile de mettre les gens dans la rue, il est plus difficile de les mobiliser sur le débat et l’organisation. C’est à ce niveau que nous allons juger sur pièce les agitateurs sociaux et dévoiler les agents de l’ombre. C’est ce débat qui va faire consensus sur les choix de l’avenir et non les coquilles vides et les appareils stériles qui veulent se substituer au peuple et le conduire vers la réalisation de leurs objectifs singuliers et particuliers. Un des objectifs est le vide et l’effondrement définitif de l’État comme cela a été réalisé en Irak pour que les États-Unis et les sionistes imposent leur solution en s’aidant des revanchards et des sectaires.
Nous avons besoin de débat, d’assemblées et d’universités populaires pour répondre à des milliers d’autres questions. Nous n’avons pas soutenu un homme, mais une occasion de lancer le débat sous la bienveillance d’un chef d’Etat responsable capable de dire à l’armée : Laissez le peuple s’organiser et débattre, défendez le territoire et le peuple contre l’envahisseur venant de la mer, du ciel ou des frontières terrestres.
Ceux qui investissent sur les hommes et font le pari sur de grandes figures historiques ou au contraire sur de jeunes « loups » semblent prisonniers des schémas classiques du nationalisme traditionnel ou du progressisme (libéralisme) moderniste occidental. Il faut aller aussi vers la fin du « Zaimisme », le culte du chef qui a sapé l’Algérianité et l’État algérien. Il faut donc donner la priorité aux processus, aux idées et aux institutions qui émergeront des idées et de la dynamique socio-politique.