Il y vingt ans de cela nous étions mis face au choix de la peste ou du choléra pour saper la première expérience pseudo-démocratique. Ce ne fut ni l’un ni l’autre, mais l’édification de la culture de la rente. Les sources de la rente sont quasi épuisées aujourd’hui : il ne reste rien du premier novembre, de l’Islam, de l’Algérianité, des ressources humaines et des ressources du sous-sol. Tout a été donné en concessions pour un siècle, c’est-à-dire pour quatre à cinq générations. Nous sommes les derniers de la génération nés avant la guerre de libération nationale, qui avions fait des études après l’indépendance et avions servi la patrie avec les moyens du bord. Quelle est notre position en 2019 ? Nous devons refuser les supercheries, les impostures et les usurpations et dire que maintenant la seule alternative consiste à admettre le pourrissement du sommet par sénilité ou la nécrose de tout le système. Cette alternative macabre, morbide et mortifère est diabolique, car elle dépasse les limites de l’absurde, de l’insensé et de la honte. Maintenant que le régime n’a plus d’homme consensuel pour se donner bonne contenance et donner l’illusion à un peuple hébété qu’il dispose du Mahdi attendu, il court inéluctablement à sa perte. En effet il n’est plus capable à cause de ses contradictions internes et surtout il n’a plus de chef de mafia pour être l’interlocuteur valide de l’Occident corrupteur. Sans interlocuteur validé, Le néocolonialisme ne peut obtenir des concessions garanties par un chef d’État « légitime » et des institutions « légales ». Il peut faire du « business », mais il ne peut instaurer le scénario qu’il a planifié et que les élites impopulaires et antipopulaires exécutent aveuglement contre un peuple dont une partie est meurtrie et l’autre écervelée. Ce scénario est non seulement la perte de la souveraineté politique et économique que nous n’avons jamais eue, mais faire de l’ANP un auxiliaire de l’OTAN, sous couvert de la lutte antiterroriste, dont les desseins sont de disloquer les géographies, les sociétés et les mentalités des peuples. De prendre possession des sites géostratégiques du territoire algérien (air, mer et terre) pour mener leur « guerre des étoiles » contre les Africains, les Berbères et les Arabes, après avoir déserté le Moyen-Orient ravagé. Le cinéma de la foire électorale et des saltimbanques candidats aux élections montre que le régime insensé fait du brouillage en terme de communication en rendant le formalisme « démocratique » ridicule et tragi-comique. Il montre aussi que l’alternative c’est nous ou c’est la répression qui a pris une nouvelle forme : l’asile psycho-psychiatrique. Le délire politico-médiatique des fous mis en scène est, à l’insu de ses organisateurs, le lapsus qui, dans le langage exprime, l’erreur ou le fourvoiement, mais qui, dans la politique, manifeste le trébuchement, la défaillance par mauvais calcul, l’improvisation, Chez nous on dit Faqou c’est du Tkharbit-Thayhoudit! Pour les lettrés tels que Mohamed Dib (l’incendie) ou Shakespeare (Hamlet), la folie est une annonciation de quelque chose de grave, de déterminant. La pensée du fou est-elle sagesse ? La pensée sur la folie est-elle prémonition du devenir sanglant ? Par la folie de soi, on apprend des choses essentielles sur soi, en allant au-delà de ses limites, mais le spectacle de la folie des autres, interroge la conscience sur le drame qui se prépare, invite le drame qui se trame à réveiller les consciences. Avons-nous suffisamment de distance mondaine pour voir, entendre et parler comme un Fou ? Avons-nous trop de crapulerie pour être des fous insensés ayant perdu la mesure autre que celle, sonnante et trébuchante, du corrompu et du rentier ? Le système qui a cultivé la folie dans nos esprits et dans notre corps social devrait logiquement nous interpeller sur le dépassement obligatoire du carcan qui nous étrique pour enfin redevenir humain en quête de liberté et non un demeuré mental mis dans la fascination ou une bête attachée à la mangeoire. La seule interpellation qui vaille à notre folie est la rupture totale, rapide et définitive avec les mécanismes et les modèles d’aliénation en vigueur depuis que l’ALN et le FLN ont été évacués du champ social, idéologique, politique et culturel. Nous voulons la rupture, pour que chacun de nous puisse vivre de sa folie de liberté, de sa folie de justice, de sa folie de quête de sens à donner à son existence, de sa folie de spiritualité sans intermédiaire ni tuteur. Les gens « normaux » de ma génération doivent s’engager à être des honnêtes gens. L’honnête homme ne peut pas en ces termes de confusion prétendre à une charge honorable, à un poste ou à une activité politique partisane. Il doit éclairer le chemin et être cynique comme Diogène vivant dans un tonneau et refusant les avances du système pourri : « Otez-vous de mon soleil ». Il n’y a ni collaboration, ni compromis, ni compromission, ni complaisance, ni plateforme de quoi que ce soit. Nous voulons un processus sain et transparent qui conduit notre pays vers la concrétisation des idéaux de liberté, de justice, de démocratie et de république comprise comme chose publique. Atteint par la limite d’âge, nous ne devons accepter aucune fonction sauf celle de conseil lorsque l’on nous sollicite pour donner notre avis sans prétendre à la connaissance infuse. Il y a suffisamment de jeunes algériens pour relever le défi et reconstruire leur pays. Notre apport n’est pas notre expérience, discutable, mais notre compétence à appréhender les phénomènes dynamiques et à apporter une expertise. Sans plus. Nos glorieux Chouhada ont donné leur vie et ont abandonné femmes et enfants sans rien en contrepartie et sans garantie de retour. Nous sommes loin d’eux et nous devons les évoquer avec des larmes aux yeux, les yeux de la honte et du repentir. Le devoir d’un honnête homme est résumé par Machiavel, le maitre de la Politique et le grand ouvrier de l’unité italienne :
« Le devoir d’un honnête homme est d’enseigner aux hommes ce que les iniquités du temps et l’injustice des hommes ont empêché d’accomplir. »