« L’Afrique d’aujourd’hui est marquée par la sécheresse une année sur deux, le sous emploi des jeunes, l’insécurité alimentaire qui gagne du terrain, les conflits armés qui se multiplient et l’instabilité politique qui menace. » Ces propos n’ont pas été tenus par un opposant radical, ni par un économiste altermondialiste, mais entendus lors du très chic colloque « Crans Montana » qui réunissait à Bruxelles le 21 octobre 2016, la crème des élites africaines. On doit cette déclaration à Lalla Malika Issoufou, l’épouse du président nigérien Mahamadou Issoufou, qui était très officiellement accueillie par le forum. Or le Niger est l’un des pays les plus pauvres, d’Afrique. Il est présidé par son mari depuis 2011. Autant dire que madame issoufou est aux premières loges!
Au bas de l’échelle
Triste portrait, certes, mais réaliste. Et d’autant plus pour le Niger. Pays enclavé, au cœur d’une région minée par l’insécurité, le Niger cumule la plupart des freins au développement. Classé dernier sur l’indice de développement humain (IDH) avec un taux de pauvreté de 48.9% et un revenu par habitant de 420 dollars, le Niger est l’une des nations les plus pauvres du monde malgré un taux de croissance important évalué à environ 6% par la Banque Mondiale. Outre son incapacité à faire profiter la population de cette richesse, le pays reste éminemment tributaire des secteurs miniers et agricoles soumis à d’importants remous. La chute du cours des matières premières, notamment de l’uranium, fait courir d’importants risques à l’économie nigérienne très peu diversifiée. Le pays souffre par ailleurs d’une insécurité alimentaire chronique et de crises naturelles régulières, notamment des sécheresses qui font fluctuer les prix à la consommation.
Des difficultés aggravées par un accroissement vertigineux de la population. Avec un taux de croissance démographique record de 3,9% et une moyenne de sept enfants par femme, le Niger peine à proposer à une population jeune et de plus en plus nombreuse des perspectives d’avenir viables. Le fort sentiment de défiance vis-à-vis des élites et le chômage galopant font des jeunes nigériens des proies faciles pour les différents réseaux de trafiquants et les groupes radicaux présents dans la région.
Failles démocratiques
Face à ces défis colossaux, le président socialiste Mahamadou Issoufou qui bénéficie de l’appui inconditionnel de François Hollande en tant qu’allié de la France dans la lutte contre le terrorisme au Sahel, est loin d’avoir satisfait aux demandes de sa population. Pire, les atteintes du régime aux libertés publiques et la multiplication des affaires de corruption ont considérablement dégradé l’image du personnel politique nigérien. A plusieurs reprises, la presse a dénoncé les liens entre le régime et de puissants barons de la drogue dans le pays dont le tristement célèbre Chérif Ould Abidine décédé en 2016. Des accusations reprises en coulisses par certains diplomates occidentaux.
Des proches du gouvernement et de la Présidence ont par ailleurs été favorisés pour l’obtention de marchés publics lucratifs. C’est le cas de l’homme d’affaires surnommé « petit Boubé » qui a obtenu plusieurs marchés surfacturés. Dans une chronique publiée sur Le Monde Afrique le 10 octobre 2016, l’ancien sous directeur pour l’Afrique de l’Ouest au ministère des affaires étrangères, Laurent Bigot, rappelle que « Petit Boubé est également recherché par la justice au Nigeria, car son nom apparaît dans l’affaire du détournement de plusieurs milliards de dollars par Sambo Dasuki, conseiller à la sécurité nationale de l’ancien président du Nigeria, Goodluck Jonathan. »
Des membres de l’opposition et de la société civile ont par ailleurs fait l’objet de méthodes d’intimidation à l’image d’Ali Idrissa, le coordinateur du ROTAB, une organisation qui revendique une plus grande transparence dans le secteur des industries extractives.
Le 2 janvier, un collectif réunissant plusieurs organisations de la société civile nigérienne a dénoncé l’arrestation arbitraire d’un de leurs coordinateurs, Salou Moumouni Djoga et de seize autres militants par la gendarmerie à Torodi, dans le sud ouest du pays.
Longtemps perçu comme une menace par le pouvoir en place, l’opposant Hama Amadou, ancien président de l’Assemblée nationale, est en parallèle la cible d’une politique de mise à l’écart qui déborde sur plusieurs domaines d’Etat. Soupçonnés de lui être restés fidèles, certains officiers de l’armée ont été remerciés ou écartés à travers des nominations à des postes éloignés. De quoi affaiblir davantage une armée nigérienne sous-équipée et mal formée alors que les terroristes de Boko Haram continuent de menacer l’est du territoire, à la frontière avec le Nigeria. Malgré les dépenses affichées de l’Etat en matière de Défense (près de 10 % des recettes budgétaires depuis cinq ans selon le ministre des Finances Hassoumi Messaoudou), les défaites essuyées en 2016 par l’armée nigérienne sur le front sud du pays ont mis en évidence des défaillances persistantes.
Un hub militaire
Au coeur d’une région secouée par le terrorisme, le Niger s’est par ailleurs converti en un véritable hub militaire où les bases étrangères fleurissent. A Agadez, Niamey, Zinder, Kirkou, Diffa ou encore à Madama, les armées françaises et américaines ont installés troupes et matériel de surveillance et d’appui à l’opération anti terroriste Barkhane. Plus récemment, l’Allemagne a exprimé leur intention d’investir également le terrain nigérien. La chancelière Agela Merkel envisage de déployer 850 hommes dans le pays avec l’établissement à terme, d’une base militaire logistique pour soutenir la mission onusienne au Mali (MINUSMA).
Un pari risqué pour les autorités du pays qui accueillent à bras ouverts cette présence militaire étrangère pourtant traditionnellement mal perçue au Niger. Un rapport publié par le Grip, en novembre 2016 souligne que « ces déploiements passent mal auprès de la population et de l’armée nigériennes, habituées à ne pas déléguer leurs instruments de défense à l’extérieur et attachées à la souveraineté de leur pays ». De quoi alimenter davantage l’agacement des citoyens nigériens qui avaient déjà manifesté leur hostilité à la politique d’alignement systématique du président Mahamadou Issoufou vis-à-vis de la France. Des émeutes avaient notamment éclaté après la parution de la une de Charlie Habdo caricaturant Mahomet suite à l’attaque terroriste dont avait été victime la rédaction du journal. Les critiques avaient alors fusé contre le chef de l’Etat qui avait déclaré « Je suis Charlie » et participé à la grande marche du 11 janvier 2015 à Paris auprès de François Hollande.
Lire aussi, le premier volet de notre série : La Côte d’Ivoire fragilisée
Le troisième volet de notre série, « Le Mali tout entier menacé par le terrorisme », sera publié le mercredi 11 janvier