60 ans déjà : Les Paras au pouvoir à Alger le 7 janvier 1957

Il y est stipulé :

Article 1 : L’ensemble des pouvoirs de police,normalement dévolus à l’autorité civile, sont dévolus à l’autorité militaire.

Article 2 : Le général Massu est chargé de l’exécution du présent arrêt.

Autour de Massu, les ordonnateurs de l’arrêté s’appellent Bigeard, Godard, Aussaresses.

Le jour même, les parachutistes – entre six et huit mille, selon les sources- font leur entrée à Alger avec pour mission de « pacifier Alger » etparadent derrière leur chef revenu de l’humiliante expédition au cours de laquelle la France, la Grande-Bretagne et Israël, escomptaient faire rendre gorgeau raïs égyptien coupable de nationalisation du canal de Suez.

Le générique désormais convenu de « la bataille d’Alger » continue d’occulter et de questionner ce moment clé de l’histoire de la guerre qui voyait « la capitulation du pouvoir civil devant le pouvoir militaire, de la République devant les généraux »,relève l’historien Pierre Vidal Naquet.

En réponse à l’attentat meurtrier de la rue de Thèbes, attribué aux activistes fascistes d’Alger, qui fit plusieurs dizaines de morts, les responsables de la zone autonome d’Alger du FLN avaient décidé de rendre coup pour coup et de mettre en place un « réseau bombes », dont les actions spectaculaires – bombes du Milk Bar, de la Cafétéria, de l’agence Maurétanie- du 26 septembre bouleversaient la donne politico-sécuritaire dans la capitale.

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1 – Un complot extrémiste

Au plus près, est-ce l’assassinat, le 28 décembre, d’Amédée Froger, maire de Boufarik, ancien président de l’association des maires d’Algérie, considéré comme l’une des personnalités influentes de la défense de l’Algérie française, quiparaît être l’embrayeur le plus retenu du tournant politique du 7 janvier.

Chefde la branche militaire de la zone autonome d’Alger, Yacef Saâdirécuse toute implication du Front dans l’opération. : « Le FLN n’a rien à voir avec la mort d’Amédée Froger. Ce sont les activistes qui l’ont assassiné pour accélérer la remise du pouvoir de police à Massu ».

Cette analyse du dirigeant FLN est, à demi mots, confortée par des officiels français présents dans le cortège funèbre et qui avaient noté, en particulier, l’agencement des ratonnades – qui avaient fait des dizaines de morts – et de la bombe explosant en plein cimetière juste à l’arrivée du cortège.

Au demeurant, ces mêmes observateurs n’avaient pas manqué sur le sens des bombes déposées dans quatre églises d’Alger qui confinaient clairement à une opération d’intimidation d’un clergé en partie rétif à l’action de l’armée en Algérie.

L’arrêté du préfet Barret sanctionne-t-il une série de provocations des milieux extrémistes européens visant à faire clairement basculer l’armée dans la défense par tous les moyens de la présence française en Algérie.

Si les manœuvres et les manipulations des milieux algérois y ont activement contribué, c’est toutefois sur la base politique des choix du gouvernement de Guy Mollet que se fonde la décision que rendaient, en effet possible, les dispositions des pouvoirs spéciaux votés en mars de la même année avec le soutien des députés communistes.

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2 – La série des mesures d’exception

Il convient aussi de rappeler que l’arrêté du 7 janvier 1957 s’inscrit à la suite d’une série de mesures d’exception dont la proclamation de l’état d’urgence dans les Aurès et en Grande Kabylie au lendemain du début de l’insurrection en novembre 1954, état d’urgence élargi à l’ensemble du territoire algérien en réponse à l’offensive du 20 août 1955 du Nord-Constantinois et les pouvoirs spéciaux – qui signifient en fait la suspension de l’état de droit et des lois de la République -apparaissent comme le prolongement politique.

Si l’arrêté du 7 janvier 1957 et la dévolution des pouvoirs de police aux parachutistes de la Xe brigade de Massu allaient durablement marquer le cours de la guerre, ils n’en affecteront pas, dans les faits, ni les méthodes ni les objectifs.

Les exécutions sommaires, les massacres collectifs – ceux du stade de Skikda au lendemain du 20 août 1955, à titre d’exemple -, le recours à la torture – la ferme Améziane à Constantine tournait déjà à plein régime – les viols étaient suffisamment établis pour fonder,entre autres, l’appel à la grève des études du 19 mai 1956 ou encore la vigoureuse dénonciation, dans les colonnes de l’Express du grand écrivain François Mauriac.

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3 – Une politique de terreur

Il était alors question,au sein de la classe politique française, au mieux,de « méthodes illégales », réputées marginales et qui n’engageaient pas l’honneur de l’armée et ce qu’allait assurer l’arrêté du 7 janvier c’était la couverture politique formelle à la systématisation des crimes de guerre et des atteintes à l’intégrité des personnes.

L’objectif, pour reprendre l’expression admise,était de « nettoyer Alger », d’imposer la terreur et la peur aux Algériens de la capitale – plus de quatre cent mille -au nom d’uneprétendue « guerre révolutionnaire ».

Moins de trois mois après l’entrée en vigueur de l’arrêté du 7 janvier, le bilan est si lourd qu’il suscite, en France même, les protestations d’intellectuels influents comme Pierre Henri Simon et contraignent le gouvernement de Guy Mollet à créer une commission d’enquête dénommée de «Sauvegarde des libertés ».

A Alger même, Paul Teitgen, ancien résistant et secrétaire général de la préfecture de police, adresse un rapport accablant – notamment sur les disparitions et la torture-au ministre résident Lacoste.

« J’ai acquis l’intime certitude que depuis trois mois nous sommes engagés non pas dans l’illégalité mais dans l’anonymat et l’irresponsabilité qui peuvent conduire au crimes de guerre »(1), écrit Teitgen qui affirme aussi reconnaître chez certains détenus les stigmates de la torture qu’imposait la gestapo aux résistants français.

C’est lors de la grève des huit jours décrétée par le FLN – 28 janvier/5 février – que l’application de l’arrêté du 7 janvier connaîtra ses modalités les plus spectaculaires avec notamment le maelstrom des camions de prisonniers, les devantures de magasins défoncées, les provocations de paras.

Exécution en février du militant communiste Fernand Yveton – coupable de dépôt d’une bombe qui n’avait pas explosé -, arrestation et exécution sommaire de Larbi Ben M’hidi en mars, enlèvement et exécution de Maurice Audin en juin, arrestation et torture de Henri Alleg, défenestration de Me Ali Boumendjel, signent clairement la nature des missions des paras de Massu à Alger.

Les protestations n’auront, en tout cas, guère d’effets sur la conduite politique de la guerre en Algérie et le rapport de la « Commission de sauvegarde des libertés » ne sera jamais rendu public et le quotidienLe Mondequi s’en était assuré la publication sera saisi.

Le général Jacques de La Bollardière, qui avait pris publiquement ses distances avec la conduite de la guerre par les hommes de Massu est relevé de son commandement et astreint à quinze jours d’arrêt de rigueur.

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4 – L’appel des douze*

Revenant sur les événements lors d’une conférence publique, l’historien Benjamin Stora relève que ce qui s’était alors passé en Algérie dépassait le clivage traditionnel droite/gauche et que « Jamais depuis l’affaire Dreyfus les Français ne s’étaient opposés aussi violemment »(2).

De son côté, l’historien Pierre Vidal Naquet, qui a consacré une partie de son œuvre à la dénonciation de la torture, note que « Le pouvoir gaulliste promeut et décore les officiers tortionnaires, autrement dit,pour le Général De Gaulle ce ne fut jamais un problème politique ».

La torture demeure, toutes choses égales par ailleurs, indissolublement liée à l’arrêté du 7 janvier 1957 et le dernier à s’en émouvoir, à la fin de sa vie, aura été le général Massu lui-même qui estimait, dans lors l’une de ses ultimes sorties publiques,qu’« en Algérie, les choses auraient pu se passer différemment ».

Robert Lacoste

Le 31 Octobre 2000, dans une adresse publique rapportée par le quotidien L’Humanité au président de la République et au chef du gouvernement français, douze personnalités, considérées comme des grands témoins de la guerre d’indépendance algérienne, estimaient qu’« il revenait à la France, eu égard à ses responsabilités, de condamner la torture qui a été entreprise en son nom durant la guerre d’Algérie » (3).

En Algérie, cette date du 7 janvier 1957, totalement scotomisée, ne peut encore fonder une telle exigence.

* Les Douze : Simone de La Bollardière, Pierre Vidal Naquet, Laurent Schwartz, Henri Alleg, Germaine Tillion, Gisèle Halimi, Nicole Dreyfus, Madeleine Rébérioux, Josette Audin, Noël Favelière, Alban Liechti, Jean-Pierre Vernant.

  1. Lettre de Paul Teitgen au ministre résident
  2. Stora (Benjamin) inL’Expresse- janvier 2007
  3. Vidal Naquet (Pierre) : « Appel des douze », in L’Humanité, 31 octobre 2000.

SOURCE : www.reporter.dz

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